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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de déshérités à profiter du spectacle. En conséquence, les pensionnaires d'orphelinats ou d'asiles pour vieillards occupaient de larges pans des estrades.
    —    C'est beau, commenta Thalie.
    —    Oui, très beau.
    Marie préférait mentir plutôt que de décevoir. Après dix jours de grand soleil, dix nuits aux averses généreuses, les décorations se révélaient bien fatiguées. La teinture des drapeaux et des oriflammes résistait mal aux intempéries, les bouquets de feuilles d'érable flétrissaient comme en plein automne.
    Le spectacle se déroulait très lentement sous leurs yeux, les changements de tableaux, malgré l'expérience, se faisaient hésitants. Les comédiens tenaient à faire durer la magie un peu plus longtemps, avant de revenir à la vie quotidienne d'employés, de boutiquiers, de professionnels ou de ménagères.
    Au retour des sous-bois où elle avait joué à la courtisane une dernière fois, Elisabeth sauta en bas de son cheval avec une habileté consommée. Sans surprise, elle se trouva devant Joseph Savard. Elle posa sa cravache sur son épaule en allant caresser les naseaux du grand étalon.
    —    Mon grand, nous devons nous dire adieu.
    Sans s'en rendre compte, elle utilisait le même ton et les mêmes mots qu'avec Edouard. Ses lèvres se posèrent spontanément entre les yeux de l'animal.
    —    Occupez-vous de lui, indiqua-t-elle au président du club de chasse, je vais me changer tout de suite.
    —    Vous pouvez garder ce costume... Il s'agit de la dernière représentation.
    Élisabeth se pencha un peu pour contempler ses atours, passa un doigt dans un accroc large comme sa main, sur le devant de la robe. Les tissus légers souffraient des agressions des buissons qui servaient d'arrière-scène. Seule la distance qui séparait les spectateurs des artistes permettait au désordre des tenues de passer inaperçu.
    —Après plusieurs soirées dans les sous-bois, cette robe ne vaut plus rien. Je la laisserai aux habilleuses, qui en feront dans doute des tapis. Bonsoir, monsieur Savard.
    —    Bonsoir, Madame... Merci de vous être jointe à nous.
    Elle lui adressa un sourire en coin, tout en faisant tourner
    sa cravache entre ses doigts. Quelques minutes plus tard, elle revint des baraques vêtue de sa jupe et de son chemisier. Son cheval, tout comme le président du club de chasse, s'étaient envolés. Elle décida de regarder la suite du spectacle une dernière fois depuis les abords du bosquet. Bientôt, Eugénie vint se placer à ses côtés, elle-même vêtue de ses habits de ville.
    —    Tout de même, ce fut une expérience agréable, remarqua la belle-mère.
    —    ... Oui, c'était bien.
    Sous leurs yeux, l'envoyé de Phips se faisait répondre que l'ultimatum de son maître recevrait sa réponse «Par la bouche des canons» de Frontenac.
    —    Tu as l'intention de garder la robe de princesse ?
    —    Dans l'état où elle se trouve, elle ne servirait à rien. Puis je suis un peu lassée des crinolines.
    Juste avant le dernier tableau, le spectacle s'interrompit un court moment. Frank Lascelles descendit de son poste d'observation au sommet des estrades d'honneur pour se rendre au centre la grande scène de verdure. L'un des Faunes de la forêt de Fontainebleau, une fillette court vêtue affublée d'une peau de bouc sur ses épaules nues, lui remit une gerbe de fleurs. Les spectateurs, debout, applaudissaient à tout rompre pour le remercier des soirées magiques des deux dernières semaines.
    Ensuite, pour la dernière fois, les soldats de Montcalm et de Wolfe, leurs drapeaux au vent, défilèrent comme des frères, coude à coude.
    A dix heures, les accents du God Save the King signalèrent la fin du spectacle. Thalie gardait encore dans les yeux un peu du mystère de la représentation.
    —    Nous allons rejoindre papa ? demanda Marie.
    —    C'est fini ?
    —    J'en ai bien peur.
    Elle se leva enfin, se retrouva dans la longue file de gens désireux de quitter les estrades. Sur les grandes pelouses, des centaines de personnes sortaient des sous-bois lentement, par petits groupes. La majorité portait encore leur costume de scène. Pendant les vingt prochaines années, ces comédiens amateurs les conserveraient précieusement, en souvenir de ces quelques jours de gloire.
    Grâce à cette aventure théâtrale, Elisabeth gagnerait quelques voisines plus amènes, désireuses de prendre le thé avec elle, à la fin

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