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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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des
Noirs, pour travailler dans les industries de guerre, surtout à Détroit. Les
tensions ont monté jusqu’à ce que ça explose. Nous ne parlions pas d’intégration.
Qui aurait accès aux Brewster Homes ? Les Blancs ou les Noirs ? Il s’agissait
d’un nouvel ensemble de logements Détroit. Il n’y avait pas de place pour les
jeunes Noirs, ils étaient ignorés, laissés à l’écart. Du jour au lendemain, ils
sont devenus soldats. Dans une armée très ségrégationniste, bien sûr.
    Mon père disait : « Bon sang, pourquoi tu vas te
battre en Europe ? C’est ici qu’il faut se battre. C’est à Détroit que tu
devrais aller. » Il avait l’esprit militant. Il serait venu avec moi. Nous
ne pouvions pas aller à Détroit, bien que nous y eussions eu de la famille. Les
trains et les bus étaient passés au peigne fin. Les routes étaient coupées. Juste
après ça, ils ont commencé à nettoyer les rues de tous les jeunes Noirs en âge
d’être incorporés, en les mobilisant. Ils venaient d’autoriser l’accès de la
marine aux Noirs, à des tâches subalternes.
    Je suis allé à Camp Custer, dans le Michigan, pour l’enrôlement,
puis à Camp Lee, en Virginie. Tous nos officiers étaient blancs. Nous avions
obtenu de bons résultats à nos tests de classification dans l’armée. Nous
pensions que nous aurions dû être officiers. À partir d’un certain total, vous
pouviez demander à aller dans une école d’élèves officiers. J’ai passé un de
ces tests et je savais que je m’étais bien débrouillé. Nous connaissions toutes
nos notes. Nos sous-officiers avaient accès aux relevés, et comme ça nous
savions. Nous pouvions regarder sur les relevés de notes et voir si on en avait
eu de bonnes du premier coup. De toute façon les soldats noirs ne pouvaient
passer l’examen qu’une fois. Certains de nos officiers supérieurs l’avaient
passé deux ou trois fois. Vous pouvez vous imaginer les tensions qui s’établissaient
entre le Blanc qui donne des ordres et le Noir qui les reçoit, quand ils savent
tous les deux que le Noir a plus de diplômes.
    La plupart des GI noirs étaient affectés à l’intendance. Comme
moi. Nous étions chargés de l’approvisionnement : nourriture, vêtements, matériel.
En Europe, nous assurions aussi le ravitaillement en munitions. En fait nous n’étions
guère plus que des manutentionnaires. De nombreux Noirs voulaient aller dans
des unités de combat. Je suis allé en Normandie avec des troupes de combat. Nous
les ravitaillions.
    En général, ils promouvaient sous-officiers des Noirs
illettrés du Sud pour nous superviser, alors que nous avions fait plus d’études
qu’eux. Nous venions presque tous du Nord. Et voilà que vous trouvez un Noir du
Sud un peu aigri, trop content de se voir offrir la possibilité de botter les
fesses de cet arrogant mec du Nord. (Il rit.) Au fond de nous-mêmes, nous
qui venions de New York, Chicago et Détroit, nous nous considérions un peu
supérieurs à nos frères du Sud moins instruits. C’est vrai que nous avions une
attitude un peu méprisante.
    On nous a envoyés en Europe. À bord du bateau, les Noirs
avaient leurs quartiers et les Blancs les leurs. Nous ne nous mélangions pas. Mess
différents, tout était différent. Nous avons traversé l’Atlantique en zigzag à
cause des sous-marins allemands. Nous étions stationnés au pays de Galles, et
nous nous préparions pour l’invasion.
    Soldats blancs et soldats noirs n’avaient pas le droit de
sortir dans la même ville. Les Anglais moyens étaient complètement estomaqués
quand ils voyaient ces deux armées. Je crois qu’ils n’avaient pas pensé à leurs
deux armées, eux non plus : la coloniale et la régulière. Mais ce clivage
racial qu’ils n’avaient jamais connu les chagrinait. Les soldats blancs leur
disaient : « Surtout, ne fréquentez pas ces nègres. Ils ont des
queues, ils hurlent à la mort la nuit », toutes sortes d’histoires
invraisemblables. Très souvent si on était pris dans une rixe, les Anglais et
les Anglaises étaient de notre côté. (Il rit.)
    Les villes dans lesquelles les Noirs étaient autorisés à se
rendre étaient les moins attrayantes. Il arrivait assez souvent que les plus
agressifs de nos jeunes soldats disent : « Moi, je vais dans la ville
la plus chouette. Je ne vais pas dans cette ville à la noix. » Ça
dégénérait en bagarre. On faisait déjà une guerre avant d’être vraiment dans

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