La bonne guerre
c’est ce que j’ai fait.
C’est sans doute la raison essentielle île mon départ de l’armée.
Comme je n’avais jamais engueulé personne de mon rang, mais que généralement je
réservais ça aux colonels ou aux généraux de brigades, je me suis dit :
« Ils s’en souviendront, et ils vont se dire : Tiens, celui-là je l’aurai
au tournant. » J’aurais pu être pas très loin de la maison, mais j’aurais
été à Leavenworth [10] ,
pas à Kansas City. (Il rit.)
Ma mère était malade et je voulais rentrer à la maison. Je
suis allé à Tuskegee pour y faire des études vétérinaires, mais comme sa santé
était trop mauvaise je suis resté dans le service postal.
Ils voulaient mettre sur pied une unité des Gardes nationaux
dans le Missouri. On m’a demandé de dresser une liste des soldats noirs
disponibles dans le secteur. Est-ce que j’accepterais de commander cette unité ?
J’ai dit oui, pendant un an. C’était en 1949. J’ai pris ma retraite des Gardes
en 1964. (Il rit.) Si j’ai accepté, c’est parce qu’un membre du Congrès,
élu du Missouri, avait déclaré que les Noirs étaient incapables de diriger un
quartier général militaire. J’étais décidé à lui prouver qu’il ne savait pas de
quoi il parlait. Nous avons fini avec une des meilleures unités des Gardes nationaux
de la 5 e armée.
Ils ont donné à trois rues de Camp Clark les noms de trois
valeureux Gardes nationaux. Ils ont choisi le président Truman, un général de
Camp Girardeau, et à ma grande surprise, moi. (Il rit.) Ce qui fait qu’à
Camp Clark il y a une rue qui s’appelle Gates.
Est-ce que le général Patton vous a reconnus ?
Oui, bien sûr, car il venait souvent sur le front. Quand il
venait nous voir, il nous parlait juste comme nous parlons vous et moi en ce
moment. Il commençait à relever les hommes des unités auxquelles nous étions
attachés – en commençant par le haut. À Hunskirch il a voulu savoir pourquoi
nous avions perdu cinq tanks en si peu de temps. Deux semaines après, ce
colonel dont je vous ai parlé était renvoyé aux États-Unis. Je le respecte. Il
n’aimait peut-être pas plus les Noirs que n’importe qui d’autre. Son quartier
général ne les aimait pas en tout cas, car ils n’ont jamais fait passer nos
états de service. Notre devise était : Lutter jusqu’au bout. Après la fin
des hostilités, nous avons simplement continué à lutter. C’est aussi simple que
ça.
Timuel Black
Il est instituteur à Chicago.
Nous nous étions rencontrés dans le train de Washington
où nous nous rendions pour participer à la Marche pour la défense des droits civiques,
en 1963. « Ça me rappelle une autre expérience : la libération de
Paris. Les débordements de joie des Français. Nous marchions sur Paris, après
avoir donné aux FFI – les Forces françaises de l’intérieur – le droit
symbolique de libérer la ville. Nous étions tout dépenaillés, tout sales et
pleins de poussière, et malgré cela tous les gens nous ont acclamés. Pas nous, les
soldats américains, mais la liberté. Les tirs continuaient dans les rues. Les
FFI poursuivaient les derniers tireurs isolés allemands. Les Champs-Elysées ce
jour-là, ce fut quelque chose que je n’oublierai jamais. »
En 1939, j’étais chez un copain, nous écoutions du jazz dans
son salon. Nous étions encore gosses, nous travaillions chez un épicier, l’avais
environ dix-sept ans. Nous avons entendu à la radio que la Pologne venait d’être
envahie. J’ai dit à mes amis : « D’ici peu, nous aussi nous serons
dans cette guerre. » Eux, ils prenaient ça moins au sérieux que moi. Ma
prise de conscience avait été bien plus précoce. J’avais eu la chance d’avoir d’excellents
professeurs au lycée. À DuSable. Rien que des Noirs.
J’ai commencé à comprendre qu’en Europe les choses
tournaient d’une manière que je n’aimais pas. J’avais travaillé pour une
famille de Juifs polonais. Ils étaient repartis en Pologne, et à leur retour
ils m’ont parlé des ghettos et des camps.
Le 7 décembre c’est le jour de mon anniversaire. En 1941
nous fêtions mes vingt et un ans. George, un très bon ami, était très patriote.
Il a dit : « Buvons à notre Noël à Berlin et à nos Pâques à Tokyo. »
Il s’est engagé tout de suite.
J’ai été mobilisé en 1943, juste après les émeutes de
Chicago et de Détroit. Une foule de gens montaient du Sud, des Blancs comme
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