La bonne guerre
Il a raconté aux gens qui étaient là, ses
voisins, ses amis, ce qu’il avait vu dans les camps : « J’ai vu votre
sœur se faire emmener et torturer. J’ai vu votre mère, nue, tirée de force sur
un camion… » Il racontait à ces gens qui ne pouvaient pas retenir leurs larmes
les histoires qui les concernaient directement.
Le rabbin a donné sa bénédiction. Entre les mots d’hébreu et
de français, on comprenait les noms de Charles de Gaulle, Franklin Roosevelt, Winston
Churchill, et Joseph Staline. Un chœur de scouts, garçons et filles, a entonné la Marseillaise, et toute la congrégation s’est levée le visage plein de
larmes.
J’ai dit à mon ami : « Sortons, je n’en peux plus. »
Nous avons commencé à nous diriger vers la porte, mais ils ne voulaient pas
nous laisser sortir. Ils nous embrassaient les mains, nous serraient dans leurs
bras. « Merci, merci. » Nous représentions les États-Unis.
En Angleterre, j’étais impatient à force d’attendre de
traverser la Manche. Le jour J est arrivé, est passé, d’autres jours ont suivi,
et vous commenciez à vous dire, oh, mon Dieu, la guerre est finie. Toujours
est-il que onze jours après le débarquement, j’arrivais en Normandie. Étant
donné les circonstances, vous vous disiez que vous aviez raté le gros truc. J’avais
vingt-six ans quand j’ai été mobilisé, et à vingt-six ans on se croit immortel.
Pratiquement les premières personnes à qui nous avons parlé
étaient des officiers allemands. Nous les avions comme patients. Ils ne
cessaient de répéter : « C’est fichu pour vous. Quand on va lâcher nos
panzers, on va vous mettre dehors en un rien de temps. » On était très
réceptifs à ce genre de discours. En fait, Hitler pensait que ce débarquement
était fait pour détourner son attention. Il a toujours cru que nous
débarquerions dans le Pas-de-Calais.
Nous avons rencontré beaucoup de travailleurs forcés, dans
les fermes. À mesure que nous gagnions du territoire, on les voyait apparaître
aux portes de nos hôpitaux. Pour se faire servir un repas, avoir une cigarette,
un endroit où coucher, ou récupérer de vieux uniformes américains. Il y avait
tout un groupe de Polonais qui portaient des vieux uniformes et qui avaient
écrit « Pologne » sur leur casque. Ils sont presque devenus des
nôtres. Nos GI qui étaient brancardiers ont dit : « Pourquoi est-ce
qu’on devrait porter les brancards ? Tous ces gars-là pourraient bien le
faire. » Alors, vingt à trente de ces types sont devenus nos brancardiers.
Nos gars les supervisaient, comme de juste.
J’étais dans le service des grands blessés. Notre boulot
consistait à faire des transfusions, ou tous les soins nécessaires pour faire
sortir les gens du coma. Ensuite ils étaient emmenés à la salle d’opération. Nous
avions pour règle de toujours soigner les Américains en priorité. Les Allemands
recevaient les mêmes soins, mais après nos soldats.
Un jour j’ai reçu des Allemands en pas trop mauvaise
condition, et je les ai directement envoyés en salle d’opération. Un coup de
fil arrive de la salle d’opération : « Qu’est-ce que c’est que ce
travail ? Les gars sont dans le coma. Ils n’ont plus de tension, plus de
pouls. Je ne comprends pas. » Nous avons découvert que les Polonais qui
transportaient ces types sur leurs brancards les avaient fait tomber et les
avaient bringuebalés autant qu’ils avaient pu. Ils se vengeaient des Allemands.
C’était leur seul moyen. (Il rit.)
Quand je suis arrivé en Normandie, plusieurs villages
avaient déjà été repris. Nous avons donc simplement installé un hôpital de
campagne sous une tente. C’était incroyable. J’étais chargé des admissions. Nous
étions sur la route de Cherbourg, qui venait d’être prise. Les blessés étaient
censés être évacués sur plusieurs hôpitaux. Mais il s’est passé quelque chose
de bizarre ce jour-là. J’avais une tente pleine de blessés qu’on venait de m’amener
par ambulance. Un sergent est entré et m’a dit : « Mon capitaine, vous
feriez bien de venir jeter un coup d’œil dehors. »
Je suis sorti, et aussi loin qu’on pouvait voir, sur des
kilomètres de long, il y avait des ambulances qui attendaient d’être admises. Notre
hôpital comptait quatre cents lits et nous étions déjà pleins. Ensuite il m’a
dit : « J’aimerais que vous veniez voir par ici aussi. » Je me
suis retourné et
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