La Cabale des Muses
minuscule, mais réelle puisque éclairée. Il frappa, insista, se présenta de manière à rassurer le prélat qui déverrouilla enfin sa porte. Apparut un homme sans âge, court et mince aux allures d’ermite, à la paupière implorante qui s’étonna d’une visite aussi tardive. Il hésita à introduire cet inconnu en découvrant l’orphelin, devinant que sa tranquillité allait être perturbée. La froidure l’enrobant, il eut pitié des égarés. La cheminée fumeuse était cependant réconfortante.
La négociation fut âpre, mais le commissaire finit par obtenir gain de cause. Le vieux prêtre se chargeait de l’enfant endolori par trop d’horreurs. Il lui incombait de trouver une famille d’accueil, à défaut un monastère. Il indiqua à Géraud une maison voisine où, sur sa recommandation, on pourrait le recevoir pour la nuit avec sa monture. « Mais on est très pauvre dans la région », s’excusa-t-il en acceptant l’obole de son visiteur. Celui-ci ne s’attarda pas et alla frapper chez les Monteux où la même insistance courtoise fut nécessaire. On était plutôt suspicieux par ici ! D’ailleurs, ce fut précisément « avec sa monture qu’il coucha » puisqu’on ne lui proposa qu’une stalle dans le coin de la porcherie. Ils s’en contentèrent, la chaleur animale étant plus hospitalière que la tiédeur humaine.
À l’aube, ils se remettaient déjà en route. Comme prévu, le froid était vif, mais le ciel clair et serein. Un petit galop les dégourdit et ainsi, en fin d’après-midi, sans anicroches, ils arrivèrent au Havre où Lebayle fut reçu par monsieur de Saint-Aignan :
— Je suis ravi de vous revoir en si bonne santé. J’étais navré de l’incident provoqué par mon personnel, incident duquel vous ne semblez, grâce à Dieu, garder aucune séquelle.
— Tout est rentré dans l’ordre et ce n’est pas même un mauvais souvenir, monsieur le gouverneur. Ne vous formalisez pas. Qu’en est-il des agissements de nos gentilshommes rebelles ?
— Ils s’efforcent d’imposer une bonne impression qui n’est que de façade. Les renforts que l’on m’a accordés me permettent de les cerner d’un peu plus près, et la jeune Louisette accomplit une tâche remarquable auprès de la marquise de Villars qui ne s’est pas froissée de votre subite disparition.
— Auriez-vous collecté quelques informations sur La Tréaumont ? L’a-t-on vu dans la région ?
— Il a participé une fois à l’un des colloques secrets de leur obscure congrégation au côté d’Auguste des Préaux, entièrement soumis à la volonté de son oncle.
— Pourrait-il comploter contre les autorités, fomenter un mauvais coup contre le roi ou ne s’agit-il que d’un mouvement contestataire local ?
— C’est une chose difficile à définir car personne n’a réussi à s’introduire dans leur cercle. En vérité, grâce à votre ingénieuse mise en scène, vous avez été le seul à les approcher avec une crédibilité certaine… et je me demandais si nous ne pourrions pas réitérer ce subterfuge, sous une forme différente, bien entendu.
Géraud haussa les sourcils. Deux sentiments se chahutèrent dans sa cervelle, tels des silex dont l’étincelle produite lui mit le feu aux pommettes. D’une part l’évocation de sa rencontre sulfureuse avec la marquise ressuscitait des heures enchanteresses, de l’autre le danger réel d’être démasqué.
— Ne craignez-vous pas que mon personnage soit découvert et que des Préaux ne voie pas mon retour d’un œil très favorable ?
— Si je me souviens de votre compte rendu confidentiel d’alors… et de celui de Louisette, vous n’avez été en relations qu’avec la veuve Villars.
— Sans doute, sans doute… Je constate, monsieur le gouverneur, que le projet vous tient à cœur.
— Faute de mieux ! S’il n’était que de moi… et si j’étais en votre place, j’avoue que l’opportunité me siérait.
Le visage empâté de monsieur de Saint-Aignan s’était illuminé aux délices qu’il pouvait imaginer.
— Sans une bonne raison, sans un bel appât, l’introduction auprès de la marquise serait difficilement crédible. C’est une rusée.
— Nous les trouverons, Lebayle, nous les trouverons. Nous avons pour cela la durée du repas auquel je vous convie et, s’il le faut, toute la soirée. Après un tel voyage, vous devez être affamé.
Le commissaire qui n’avait guère mangé depuis
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