La Cabale des Muses
les jardins pour lire sans être dérangé.
« Mon cher Géraud
Premier acte.
Il te souvient de la dernière comédie de Van den Enden qui, il y a deux semaines, feignit d’un air affligé qu’il avait reçu des nouvelles fâcheuses de sa famille qui l’obligeaient à partir le lendemain pour Bruxelles ; qu’il donnait ordre qu’on mît Marianne dans un couvent. Je feignis d’être touché des nouvelles qu’il m’annonçait. Je le priai seulement qu’il ordonnât qu’on mît mademoiselle Marianne dans le même couvent où était ma maîtresse.
Marianne y joignit ses vœux et il nous l’accorda.
Il sortit le lendemain dès le grand matin, et je le vis prendre par la porte du jardin le chemin de Saint-Mandé. Il en revint sur le midi. Le reste du jour, il fut enfermé et occupé à écrire.
Le lendemain, il ne partit point encore. Le chevalier de Rohan (c’était le jour de notre dernière brève rencontre au cours de laquelle je n’eus pas le loisir de te révéler tous les détails) et La Tréaumont vinrent ensemble l’après-dîner. Ils s’enfermèrent avec lui dans le cabinet et se séparèrent sur les 5 heures du soir. Le chevalier tenait sous le bras la Gazette de Bruxelles et une assez grosse cassette. As-tu appris ce qu’elle contenait ?
Dès la pointe du jour, Van den Enden éveilla tout son monde pou r les préparatifs de son voyage : Marianne fut conduite au couvent et son père s’en alla sur le midi du 31 août .
C’est là que je pris la décision d’éloigner Gautier avec son balluchon et de le confier provisoirement à une amie de mes connaissances dans l’attente de ton retour. »
Géraud s’agaça du verbiage du mousquetaire. Il avait déjà dirigé ses pas vers les écuries où, par une chance extraordinaire, il était parvenu à loger sa jument. Il poursuivit en marchant :
« Acte deux.
Coup de théâtre deux semaines plus tard, en ce jour du 17 septembre où je t’écris : retour d’Affinius. Sept jours de coche sont nécessaires pour rallier Bruxelles par temps ordinaire. C’est dire que notre homme ne s’est pas attardé puisque nous sommes au quinzième !
Il est reparu tantôt d’un air fort riant avec son sac de velours sous le bras (le même que j’avais vu bourré de documents lors de son départ), content de l’heureux succès de sa négociation.
Il voulut se laver les mains. Je demeurai quelque temps dans le vestibule pour penser à ce que j’avais à faire. Un instant après, étant rentré, je ne le vis plus et, l’ayant demandé, personne ne voulut me répondre. Je sortis pour aller le rejoindre sous prétexte que j’avais à lui parler. Mais quelque perquisition que j’en pusse faire dans toute la maison et en dehors, je ne pus l’apercevoir nulle part.
Le marquis de Louvois m’avait ordonné de la part du roi de ne le point perdre de vue après l’entrevue avec le marquis de Seignelay. Je décidai de lui rendre compte de la situation, sachant où le joindre dans l’urgence où je me débattais. Il n’était point là, me signifia Boistel, son homme de confiance, mais qu’en cas de nécessité, je pouvais me rapprocher de monsieur de Brissac qui avait toute sa confiance.
Je ne trouvai plus la femme Van den Enden quand je fus de retour à la maison des Muses. Elle s’était absentée et avait emporté avec elle quelques meubles de peu de conséquence ; ce qui fit juger qu’elle avait pris un logement en quelque lieu écarté.
Voilà où nous en sommes et pourquoi je t’alerte aussitôt, mon cher ami. Je crois qu’il est impératif que tu rentres au plus tôt.
Ton dévoué Jean-Charles du Cauzé 1 . »
Géraud était déjà à cheval et avait quitté le château. Il enfourna la lettre dans sa poche et talonna.
1 - Mémoires de Jean-Charles du Cauzé de Nazelle, à quelques ajouts nécessaires près.
XXXVII
L EBAYLE ET SES COMPÈRES , secondés par l’exempt Desgrez et trois hommes de Seignelay, ratissèrent l’est parisien pour retrouver la trace des époux Van den Enden. Leur fuite simultanée était concertée et en relation avec l’arrestation à Versailles du chevalier de Rohan. Le doute n’était pas permis.
Pourquoi Affinius était-il revenu aux Muses ? Parti de Bruxelles sept jours plus tôt, il n’avait pu être informé de la décision royale que par Catherine. Il avait donc décidé aussitôt de s’enfuir. Qu’avait-il rapporté dans son sac de velours ? Les capitaux
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