La Cabale des Muses
Pistol.
— C’est à espérer. Nous n’avons pas parcouru tout ce chemin sans raison. Il n’y a rien ni personne à visiter dans les environs.
— Sauf cette auberge, Jean-Charles. Je pense y rencontrer une curiosité qui nous ravira et qui constituera un présent apprécié par Sa Majesté.
— Oui, je crois que c’est le genre de trophée qu’elle aura plaisir à accrocher dans sa maison de chasse.
— Alors, agissons avant que le vieux filou nous file entre les doigts par une roublardise dont il a la spécialité.
Ils galopèrent jusqu’à l’établissement, avisèrent que le siège du cocher était vide, laissant supposer que celui-ci se restaurait à l’office et que le départ n’était pas imminent. Ils entrèrent, furent reçus par la patronne qui perdit son large sourire d’accueil lorsqu’ils révélèrent le but de leur démarche.
— Le couple de voyageurs âgés ? Un homme corpulent et barbu. Oui, messieurs, ils sont ici, chambre huit, tout en haut, mais…
— Service du roi, précisa encore le commissaire pour mettre fin à toute discussion. Pas un mot, pas un cri, sinon vous serez considérée comme complice d’un crime de lèse-majesté, ainsi que votre maisonnée.
— De… Ah ! Mon Dieu !
Tremblante, l’aubergiste se laissa choir sur une chaise et bredouilla à vide, le regard hypnotisé. Pistol lui adressa un clin d’œil, l’index en travers des lèvres.
Ils dégainèrent leurs pistolets, en vérifièrent la charge et le bon fonctionnement. Mieux valait être prévoyant, même si l’on n’avait pas affaire à des assassins avertis. Ils grimpèrent sans bruit jusqu’au deuxième. Il n’y avait qu’une porte. Lebayle colla son oreille au panneau, adressa un signe affirmatif à ses adjoints, tourna la poignée. Aucune résistance. Ils ne s’étaient pas même enfermés à clef. Le trio se précipita, se répartit dans la pièce et découvrit un spectacle d’une grande banalité.
Sur le lit, le couple étalait des haillons qui devaient leur servir de déguisement. Le vieux philosophe s’était teint la barbe en noir. Il ne parut pas autrement surpris, ne réprimanda aucunement sa femme qui laissa échapper un petit cri de dépit.
— Vous n’attendiez pas une visite aussi prompte ! Vous n’auriez pas dû rentrer de Hollande, Affinius, mais vous ignoriez alors que le roi avait embastillé Rohan. Vous êtes en état d’arrestation.
— « Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche », écrivait votre merveilleux Montaigne dans ses Essais .
Il mit la main à la poche et fut aussitôt braqué par les trois pistolets.
— Quel joli geste à l’unisson. Paix, messieurs. Vous me connaissez, je ne suis pas un téméraire, un risque-tout. Je ne compte ni résister ni m’escamoter. Par ce geste, je voulais juste offrir un petit souvenir à mon ancien locataire, monsieur Ducaux dont je doute désormais que ce soit son véritable patronyme. Il m’était fort sympathique.
— Jean-Charles du Cauzé de Nazelle, mousquetaire du roi.
— Enchanté. Quant à vous, monsieur le père de mon dernier brillant élève qui sera ma dernière consolation de pédagogue ?...
— Géraud Lebayle est mon nom véritable : commissaire au service de monsieur de La Reynie. Et voilà Pistol, architecte prospecteur auprès du marquis de Vauban.
— Je ne regrette donc pas de me rendre à un si prestigieux triumvirat.
Affinius sortit alors de sa poche une boîte ronde. Elle contenait une poudre fine, inodore, semblable à de la fleur de soufre. Il en prit un peu au bout de son doigt rondelet mouillé de salive, l’étendit sur le dos de son poing, frotta, élimina les résidus. La peau s’éclaircit. Tel un apothicaire précisant la posologie d’une potion, il expliqua :
— Il s’agit d’un secret pour embellir le teint des dames. Puisse-t-il vous rendre service puisqu’il faut maintenant que j’y renonce. Votre belle, monsieur du Cauzé de Nazelle, au sortir du couvent en aura, j’en suis certain, l’utilité.
Avec l’assentiment amusé de Lebayle, Jean-Charles accepta le cadeau.
— Je vais vous demander, à présent, intervint le commissaire, de nous suivre sans opposer de résistance.
— Une petite faveur, encore, je vous prie. Permettez que je fasse mes adieux à mon épouse. Elle n’y est pour rien dans cette sombre affaire, n’était
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