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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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avoir eu le temps de le relever… Ce combat dura cinq heures en plein jour et à découvert, et l’on pourrait presque dire : “Et le combat finit faute de combattants. ” »
    L’agent de La Reynie resta abasourdi. Ce récit épique ne correspondait guère avec ce qu’on lui avait rapporté sur le terrain. Pourquoi cette fable ?
    — Quel crédit peut-on accorder au rédacteur de l’article 1  ?
    — Celui qu’on veut bien lui donner.
    — Est-il impartial ? Bénéficie-t-il de sources officielles ou officieuses car je suppose qu’il ne se trouvait pas à pied d’œuvre au jour fatidique ?
    — Nous partageons le même sentiment : il profite, avec un fulgurant empressement, de l’information de personnes bien en place qui veulent imposer cette version à l’opinion générale.
    — Dans quel but ?
    — Celui de louer le prince anglais, l’acquitter de ses responsabilités dans la mort de monsieur d’Artagnan et étouffer l’authentique relation des faits. Par opposition, je voudrais te faire rencontrer un Anglais intègre – ce phénomène existe, ne te récrie pas ! –, le baron Alington de Killard 2 .
    — Explique-moi comment un imagier, au service obscur de monsieur Vauban, est au fait de tant et tant de renseignements confidentiels ou clandestins sur la cour, la noblesse d’épée ou les arcanes de la stratégie militaire ?
    — C’est précisément par l’intermédiaire de celui-là, monsieur le commissaire général des fortifications que j’ai, par les coulisses, mes petites entrées dans les meilleurs milieux et que la nature m’a doté d’autre part d’une gueulette avenante, d’une facilité d’élocution et d’une immense curiosité très aiguisée. Mais avant de te présenter notre homme, je voudrais te soumettre quelques croquis.
    — Montre tes chefs-d’œuvre et laisse-moi apprécier.
    Le dessinateur rouvrit son carton. La première gravure représentait les créneaux des murailles enfumées de lourdes volutes, rendues par un frottis du doigt en plusieurs épaisseurs. Il la retourna contre sa poitrine et dévoila la suivante : une escouade de fantassins vue du dessus dans la tranchée ; puis le portrait expressif d’un capitaine, une poterne, la barricade de monsieur de La Feuillade qu’on identifiait grâce au précédent, la demi-lune sous l’assaut des Français et pour finir une vision rapprochée de celle-ci, jonchée de cadavres de mousquetaires facilement reconnaissables à leurs casaques, leurs chapeaux et leurs hautes cuissardes.
    Le cœur de Géraud s’emballa. L’assaillant central, cambré l’épée au poing, ne pouvait être que d’Artagnan dans une posture sans équivoque possible. Pistol avait capturé l’instant tragique lorsque la mortelle balle de mousquet frappait le capitaine légendaire de la première compagnie. Il resta un long moment en contemplation devant ce dessin si réaliste qu’il lui semblait entendre la bataille et voir se dérouler à nouveau l’action.
    — Tu y étais donc ?
    — Oui… Sous l’arbre où tu m’as vu la première fois, oubliant les boulets qui avalanchaient tout alentour, creusaient des cratères, brisaient les branches, fauchaient les soldats et les balles égarées qui serinaient la mort…
    — Ton œil est affûté, ta dextre agile et précise, cependant… quelle confiance puis-je accorder à tes allégations ? Ne sont-elles pas aussi biaisées que le récit mensonger du Mercure  ? Chacun veut imposer sa vérité sans d’ailleurs qu’on lui réclame rien. Comment puis-je séparer le grain sain du grain charançonné ?
    Géraud n’était pas mécontent de son envolée à la manière de son interlocuteur.
    — Il est vrai… Il est vrai, je le reconnais. M’est-il possible, à présent, d’expliciter ce que je n’ai décelé dans mon propre dessin qu’après coup… si je puis dire, à ma grande surprise ?
    — J’en prendrai acte, sans plus.
    Pistol sembla se satisfaire de cette proposition. Il poursuivit, sans intonation exagérée :
    — J’ai donc calqué prestement, en quelques traits essentiels, cette vision que ma mémoire avait imprimée. J’ignorais alors qu’il s’agissait du capitaine des mousquetaires. J’ai disposé des silhouettes humaines anonymes, cueilli et fixé les positions des corps. C’est mon ouïe, toujours sur le qui-vive, qui a capté peu de temps après les exclamations horrifiées des mousquetaires. Je me suis donc empressé

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