La Cabale des Muses
d’achever mon esquisse, sans aucune arrière-pensée. C’est le lendemain quand, ici même, j’ai voulu l’améliorer et la compléter comme je pratique toujours, que la révélation m’a assené une gifle fulgurante…
Il se tut, laissant poindre son émotion et son trouble. Géraud se pencha à nouveau sur le dessin.
— Pistol !... Je suis au regret de t’annoncer que la posture de monsieur d’Artagnan est improbable… impossible.
— C’est ce que je souhaitais t’entendre dire.
— Tu proposes à mon jugement un travail que tu sais maladroit et imparfait ? Je ne te reconnais plus.
Pistol se détendit, ravala son sourire en coin, ébouriffa sa tignasse noire :
— J’agis, tu l’as constaté, dans le geste naturel et spontané. J’étais prêt à déchirer ce gribouillis indigne de ma main et qu’au premier abord je n’estimais pas conforme à la réalité. Mais soudain, l’illumination ! L’erreur m’est apparue. Elle ne provenait pas de ma main – ce n’est pas de l’immodestie ! – mais des circonstances… D’Artagnan escaladait cette pente abrupte, penché en avant comme il se doit, non seulement en raison de l’inclinaison prononcée du terrain, mais pour offrir à l’ennemi la cible la plus réduite possible… S’il était touché par une balle de mousquet tirée depuis le sommet du réduit de la demi-lune, elle devait l’atteindre à la tête, à la rigueur à l’épaule ; en aucun cas lui transpercer la gorge de part en part comme ce fut le cas et, de cette façon, l’aurait rejeté en arrière. Or, sur ce que j’ai vu, je suis formel. Pour le cambrer ainsi dans un sursaut d’agonie, il fallait que le projectile le frappe…
— Par-derrière !
— Et du bas de la contrescarpe, nous sommes d’accord sur ce point essentiel. Hélas, je n’ai pu voir le tireur, pour plusieurs raisons : il m’était impossible d’anticiper le drame, mon attention était braquée sur l’assaut, et le fossé, en contrebas, n’était pas visible depuis mon poste d’observation.
Le long silence qui s’ensuivit ne fut pas troublé par les bruits lointains qu’atténuait l’épaisseur des roches. Lebayle hocha la tête, pinça les lèvres :
— Voilà une belle démonstration qui confirme les doutes du roi… Allons de ce pas consulter ton baron anglais !
Pistol referma son carton et le rhabilla. Un sourire de gargouille épinglé sur le visage, il bondit. Géraud le retint par le bras :
— Encore une question : pourquoi fais-tu tout cela ?
Le jeune homme haussa les épaules, puis les sourcils.
— Le sais-je ?... Pour la vérité gravée au fond de moi par le Créateur. Ce qui, entre nous, risque de m’attirer plus d’ennuis – je parle de la vérité ! – que de louanges. Allons-y !
*
Le baron Alington de Killard était un grand rousseau efflanqué, au menton carré proéminent, à la prunelle grise, direct et cordial ; un Anglais de la bonne société. Il les reçut sous sa tente, sans protocole ni formalités, les invita à s’asseoir, n’ignorant rien de leur démarche :
— Messieurs, vous me voyez navré de la disparition d’un militaire de grande probité, un gentleman, tel qu’était le commandant d’Artagnan.
— Nous vous savons gré de votre compassion…
— Sire, vous étiez présent, attaqua Pistol, précisez-nous de quelle façon s’est engagée la contre-offensive.
— Yes… Autour du duc de Monmouth, se tenaient entre autres officiers Charles Obrien, Villars, les deux fils de lord Rockingham et le capitaine Churchill 3 . L’épée au poing, nous avons marché vers le premier obstacle dressé par l’ennemi : une solide barrière de bois. Averti, sire d’Artagnan nous rejoignit avec ses mousquetaires à cet étroit pertuis où seul un homme pouvait s’engager à la fois. Il n’approuvait pas la stratégie initiée par le prince qu’animait la fougue de sa jeunesse, laquelle privilégiait la rapidité d’action au détriment de la sécurité.
Ne serait-ce son accent, le baron s’exprimait dans un français correct.
— Le duc de Monmouth n’était-il pas placé sous les ordres de notre commandant ? s’enquit Lebayle.
— Si fait. Seulement, en l’occurrence, celui-ci n’étant point de service, le duc estimait devoir diriger la reprise de la demi-lune qui se révélait capitale et de la manière qu’il avait choisie.
— C’est donc lui qui ordonna à ses hommes de se lancer en droite
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