La Cabale des Muses
quelque autre variante à la française quand les premières lignes se replient et s’abritent pour recharger tandis que les suivantes mettent en joue et que les piquiers se portent en avant pour les protéger ?
— Oh ! Je constate que, de ton côté, tu as étudié les techniques militaires ! Il y a sans doute à cela deux raisons majeures. Pour confirmation, je poserai la question à monsieur Vauban, il sera intéressé… D’une part, il y avait l’urgence de contrecarrer l’empressement de Monmouth, d’autre part le terrain n’était pas favorable à une attaque conventionnelle, comme tu as pu le constater.
— Réponse acceptable.
Pistol se redressa, se dégourdit les jambes au soleil, en s’engageant parallèlement aux fortifications.
— Cette tentative d’élimination ressemble à s’y méprendre à l’attentat qui a coûté la vie à d’Artagnan, tu ne penses pas ?
— Mes jambes en flageolent encore. Même position, même manière… bis repetita … À croire que l’on était prévenu de mon passage, alors que je n’en avais averti personne, pas même toi. Étrange… troublant… mystérieux.
Pistol cessa sa déambulation latérale, se frappa du poing dans la paume et se tourna vers Lebayle :
— Quel âne mal bâté à la cervelle de mouche suis-je donc ? Quel coquefredouille 1 !
— Mais encore ? s’amusa Géraud, admiratif du talent de comédien de son compère qui revint vers l’ombre parcimonieuse :
— Ce Hollandais qui t’a pris pour cible ! Mon œil d’aigle l’a imprimé à la loupe dans ma mémoire. Je le vois encore, foutre-dieu !... Des cheveux sombres sous un vaste feutre à plume d’autruche…
— Ils ne sont pas tous roux ?
— Le large col blanc et les hauts revers de manchettes boutonnées, garnis de dentelle amidonnée, la veste de peau sans manches aux pans flottants, les culottes et les bottes évasées ! J’ai tant dessiné d’uniformes de toutes sortes que j’en connais les moindres détails, ainsi que cette mode des hauts-de-chausses hollandais si démesurés et bouillonnants de plis qu’on croirait ces hommes affublés d’une robe – les rhingraves : une aune et demie de tissu par jambe ! – et qui commence à véroler la cour de France. Le vaincu impose ses canons vestimentaires au vainqueur !... De profondes culottes à chier dedans comme une vache malade ! C’est dans les yeux qu’elle me dégoulinait cette chiade verte et nauséabonde !
Shakespearien outrancier, il se jeta à genoux près de Lebayle qui s’interdit d’interrompre ce monologue comique.
— J’ai trouvé où le bât me blesse, Géraud… Le haut-de-chausses que j’ai entr’aperçu lorsque l’homme s’est enfui… Je suis catégorique : il était étroit et serré aux cuisses, c’était celui d’un Français !
— Un traître ! Par tous les saints !
Les yeux dans les yeux, ils restèrent pétrifiés par l’incompréhension dévoilée. Un déguisement !... Tel était le fruit de leurs déductions. Le même subterfuge avait-il trompé le capitaine des mousquetaires ?
— Il est urgent que je demande une entrevue avec le roi, souffla Géraud d’une voix émue.
— Le plus tôt sera le mieux.
Un peu sonnés, ils se dirigèrent vers la colline Saint-Pierre, scrutant les uniformes. Ils éliminèrent de la liste des suspects les chevau-légers et les mousquetaires qui portaient des cuissardes. Ils détaillèrent les grenadiers en bleu et rouge, quelques piquiers et hallebardiers, les officiers, l’écharpe blanche nouée en ceinture et serrant la veste à hauteur des bas, les gardes du corps à pied, la cartouchière aux « douze apôtres » en bandoulière, leurs culottes amples. Ils se détournèrent des sapeurs, vêtus aussi large que des Bretons, s’écartèrent de deux caporaux suspicieux qu’ils avaient reluqués avec trop d’ostentation.
L’agent Lebayle s’identifia auprès de la garde pour approcher du camp de l’état-major.
— Tandis que je sollicite un entretien avec le roi, peux-tu me procurer une bonne lanterne sourde ?
— Quel projet ourdis-tu ? Un rendez-vous galant au clair de lune ?
— Je préférerais. Il s’agit plutôt d’une expédition nocturne car je lis une curiosité brûlante dans ta prunelle.
— Tu ne comptes pas visiter le dédale des galeries de ce coteau par où s’est enfui le tireur ?... Sinon, je préviens quelques amis sûrs et bien armés. Le danger est trop
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