La Cabale des Muses

important. Seul, tu n’en reviendrais pas.
    — Je te rejoins dans ta tanière dès que j’en ai terminé et nous en reparlons.
    — Ne te défile pas ou j’ameute trois régiments, cinq compagnies et deux brigades. Tu m’en sais capable !
    Ils rirent et se séparèrent sur cette boutade qui n’en était qu’une demie.
    1 - Pauvre hère, homme sans valeur, sans esprit (nom, origine inconnue).

VII
    — G ÉRAUD L EBAYLE, agent du Lieutenant général de police La Reynie, je te présente le maréchal des logis La Bastide dont je t’ai parlé, tout juste rétabli et qui a tenu à nous accompagner. Voici monsieur Jean-Charles du Cauzé de Nazelle, mousquetaire et ami.
    — Je suis flatté de rencontrer de telles personnes, prêtes à courir tous les dangers sans objectif précis.
    — Les distractions sont rares autour de Maëstricht et les soirées interminables, observa le dernier nommé, un grand jeune homme de vingt-quatre ans à la mine cordiale.
    — Notre curiosité a été tisonnée par cette récidive de traîtrise à votre encontre, déclara La Bastide. Mes insomnies sont peuplées d’interrogations depuis le 25 de juin.
    — Messieurs, puisqu’il en est ainsi, conclut Lebayle soulagé d’être aussi bien soutenu, rendons-nous en barque sur les lieux, puis, en deux groupes plus discrets et par des chemins différents. Nous nous retrouverons à l’entrée que connaît Pistol.
    — Tout à fait.
    Sans se concerter, Lebayle et du Cauzé partirent les premiers. Les deux autres empruntèrent le chemin passant par la tombe du capitaine d’Artagnan.
    Tous quatre étaient armés d’un pistolet et d’une épée ou d’un stylet. Ils évitèrent les rassemblements autour des foyers, les promeneurs qui recommençaient par la théorie les batailles ou la société, les fumeurs solitaires, les sentinelles vigilantes. Ils épièrent le moindre bruissement, la plus petite ombre et s’interdirent toute parole. Bien que circulant parmi les troupes royales et leurs alliés anglais, on avait constaté qu’il s’y glissait quelques ennemis habiles, des brigands, des vagabonds sans compter les ribaudes. Il fallait se méfier de tout, l’obscurité se révélait propice aux illusions, aux traquenards.
    Le roi étant ce soir à Maëstricht intra muros afin de signer d’importants traités, le commandant de la garde royale avait noté la demande de Lebayle au lendemain à l’aube. Il lui restait donc la nuit pour compléter et peaufiner le rapport écrit qu’il avait ébauché. Il ne pouvait aller au-delà sans ordres nouveaux.
    Par l’itinéraire opposé au chemin direct, ils approchèrent de l’entrée de la galerie, longèrent la paroi et, masquant leur lanterne, s’arrêtèrent à une dizaine de toises, de manière à repérer toute présence inopportune. L’endroit était calme, ne seraient-ce quelques paisibles grillons stridulant leur aubade à d’aimables grillonnes dans leur langage international. Ils ne croisèrent personne, et pourtant, ils ne se sentaient pas seuls. De l’œil et de l’oreille, ils auscultèrent la tranchée et décelèrent bientôt deux silhouettes qu’ils reconnurent. Géraud lança le signe de ralliement auquel les autres répondirent. Pistol et La Bastide avaient eu moins de distance à parcourir, malgré une prière sur la tombe du capitaine. Ils se rassurèrent mutuellement. Lebayle avança jusqu’à la brèche – ses équipiers surveillaient les alentours, la main sur la crosse ou la poignée d’une arme blanche –, y jeta un regard à la lueur de son lumignon.
    Confiant, il invita ses compagnons à le rejoindre et fendit le rideau de feuillage. Le souterrain, creusé dans une roche tendre mais résistante, s’enfonçait tout droit, puis remontait en pente douce sous la Meuse puis le plateau de Saint-Pierre (la crête la plus élevée culminant à cent soixante-quatorze pieds 1 ), avant un ressaut de terrain qui résultait sans doute d’un affaissement causé par les nombreuses galeries. Le sol était égal, parsemé de quelques effritements anodins qui démontraient un entretien régulier. Ils progressèrent sans hâte l’un derrière l’autre ; La Bastide placé en arrière-garde. Afin d’avoir une estimation de la distance parcourue, Géraud compta ses pas jusqu’à la première intersection qui s’ouvrait à angle droit : cent vingt toises environ.
    D’un accord tacite, ils choisirent la galerie de gauche. De sa lame, Jean-Charles du Cauzé