La Cabale des Muses
retrouver en tête-à-tête avec elle-même. Il était loin le temps où elle rêvait d’une vie de pirate. C’était juste bon parmi les jeunes gueux de Rochefort, mais très différent chez les adultes. Désormais, elle songeait à une carrière d’érudite… ce qui n’était pas non plus un avenir très féminin. Mais était-elle féminine ? Elle affichait de l’ambition, c’était l’essentiel !
Elle choisit de longer par la droite l’enceinte décrépie car, de ce côté, le lierre n’y tissait qu’un réseau diffus. Trois toises plus loin, elle ralliait un sentier et la porte arrière du jardin, au bois fendillé par les intempéries qui, d’évidence, ne servait pas souvent. D’ailleurs, elle était fermée à clef, peut-être condamnée. Qu’y avait-il au-delà ? Tout était possible. Elle fit donc un quart de tour et, par le vague chemin, revint vers la civilisation dont les éclats n’avaient pas diminué d’intensité.
Lisa n’avait aucune envie d’affronter les regards, ni de subir les débats lettrés et grandiloquents auxquels elle ne comprenait encore pas grand-chose. Lasse, elle décida de regagner sa logette de cinquante pieds carrés.
Jusqu’à présent, elle se croyait d’un féroce appétit de louve, mais c’était surtout parce que toute sa rude enfance elle avait vécu en manque permanent de nourriture. Depuis qu’elle vivait à Paris, elle mangeait à sa faim et se rassasiait facilement. Toutefois, elle demeurait toujours aussi menue ; sans doute était-ce sa nature. Elle aurait aimé être plus en chair, avoir de bonnes cuisses rondes et les fesses charnues d’une bourgeoise de la Cité. Elle restait une sauterelle des champs…
Elle longea la façade arrière, passa devant le bureau du maître, y jeta un bref regard, n’y distingua que la silhouette des meubles et les impressionnantes bibliothèques, monstres de savoir, puis gagna l’aile des dortoirs. Son petit domaine se situait à l’angle du rez-de-chaussée. Elle s’introduisit par la fenêtre ouverte, tira soigneusement le rideau avant de se dévêtir.
*
Tout au long du voyage de retour, Géraud ne prit guère de repos, couchant à la belle étoile ou logeant à l’écart de la route principale qu’il lorgnait sans cesse par-dessus son épaule, s’écartant quand un groupe de cavaliers pointait à l’horizon, ne s’attardant pas dans les villes, s’endormant tard, se levant tôt.
Il rentra dans la capitale par la porte Saint-Bernard, forteresse rassurante en trois corps, perpendiculaire à la Seine qu’il traversa par le pont Notre-Dame et la rue de Grève pour se rendre aussitôt au Grand Châtelet. Monsieur de La Reynie put le recevoir dans des délais raisonnables. Il l’accueillit avec un large sourire – ce qui n’était pas si courant – car ses « mouches » avaient permis l’arrestation d’un habile brigand qui les défiait depuis trois mois. Lebayle lui fit un rapport concis de son entrevue.
— Cette réaction de la baronne est surprenante, en effet, confirma le chef de la police. Sa conscience ne serait-elle pas en paix ? Auriez-vous pu voir des artifices, des détails insolites ou percevoir des indiscrétions qu’elle tenait à dissimuler ?
— En sa présence constante, ma visite fut trop brève et limitée à une seule pièce pour qu’il me soit possible de découvrir quoi que ce soit. Maladivement soupçonneuse de tout et de tous, elle a payé ses sbires afin de suivre et espionner à maintes reprises son mari, des gens qui n’ont sans doute pas un passé très reluisant. A-t-elle craint que je les reconnaisse ? M’a-t-elle supposé une double mission ? Son intendant n’a rien non plus pour inspirer confiance, c’est lui qui de loin dirigeait le piège, et le fils de la vieille aubergiste est de connivence.
— Restez sur vos gardes, Lebayle. Je n’aimerais pas perdre un agent aussi efficace et distingué par le roi… Pendant un certain temps, il serait préférable qu’on ne vous rencontre pas trop dans Paris. Montrez-vous le moins possible, évitez les bouges, les foules et les lieux de perdition. Dès que vous aurez soufflé un peu, je vous enverrai au bon air de la Normandie. Le duc de Saint-Aignan, gouverneur du Havre, nous signale depuis un an environ des réunions de hobereaux et des mouvements suspects dans sa région. Ceux-ci semblent à présent s’extraire de la léthargie où l’hiver les calfeutrait. J’aimerais savoir ce qu’il en
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