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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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d’écurie. Jurance l’accueille, paille à la lippe, d’un court hennissement marquant son inquiétude.
    — Nous reprenons la route, ma belle ! La bienvenue n’est pas ce qu’on pouvait en espérer.
    Il l’oriente vers la porte, la harnache en gardant un œil sur l’extérieur, place la selle et serre la sangle, lance ses fontes sur la croupe, les attache en même temps qu’une vieille couverture roulée et, le pistolet au poing rechargé, il s’enhardit vers la soue et le fumier, invectivé par la horde hargneuse des pourceaux.
    Plutôt que de filer tout droit vers la route, il préfère contourner l’auberge, l’arme à la hanche, dans l’éventualité d’une attaque surprise. Soudain, la jument relève la tête, tourne les oreilles. Elle a perçu quelque chose, là-bas, à la limite du petit bois où deux silhouettes s’esquivent. Il les reconnaît sans peine : son dernier assaillant défiguré et… l’intendant de la baronne !
    — Madame de Sainte-Croix n’a guère apprécié ma visite, dirait-on.
    Il ouvre la rêne à gauche, rejoint cette fois la route de Louhan, range son pistolet et prend le galop.

XII
    L ES TABLÉES D’ÉTÉ à « l’hôtel des Muses » du sieur Affinius étaient plus détendues et posées que celles des autres saisons quand tous les jeunes élèves étaient présents. Cependant, aux soupers, il n’y avait jamais moins d’une dizaine de convives autour du philosophe, calé à la place d’honneur dans son grand fauteuil de bois sombre, rembourré d’épais coussins rouges, « pour ses aises », affirmait-il, mais qui, en vérité, n’étaient destinés qu’à le hausser un pouce au-dessus des autres têtes.
    Jean-Charles du Cauzé était assis à l’opposé, sur le grand côté gauche, après trois amis du maître ; et Lisa-Gautier à l’extrême bord de la table. Ce n’était pas le meilleur poste d’observation, mais ainsi, elle n’était pas non plus en vue. Peu habituée encore à sa nouvelle identité, elle craignait toujours d’être démasquée et chassée.
    Parmi les invités, il y avait aussi un ancien élève de passage, deux jeunes de treize et quinze ans, placés à la droite du gendre (le sombre professeur de latin et époux de Clara-Maria, la troisième fille du pédagogue hollandais) et, en face de lui, la personnalité d’honneur était ce soir le jeune penseur Gottfried Wilhelm von Leibniz 1 .
    Maître Affinius frétillait d’avance de la joute oratoire que l’un d’eux ne manquerait pas de déclencher. Ses yeux pétillants aux paupières épaisses voletaient de l’un à l’autre tandis que, des deux mains, il griffait sa large barbe de patriarche débonnaire, dégageant de la broussaille ses lèvres gourmandes.
    Alentour, femmes et servantes s’activaient. Les bonnes odeurs investissaient le grand réfectoire. Les verres se remplissaient d’un vin capiteux qui aiguisait les papilles et réjouissait les palais. Les exclamations répondaient aux appels à la bonne chère. Les marmites fumantes arrivèrent, prometteuses de délices variées et d’amitié renforcée.
    Ils se servirent « à la fortune du pot », goûtèrent à grands claquements de langues, apprécièrent les poulardes, les perdrix grillées, les fèves, les haricots, les farces, les oignons frits…
    C’est Leibniz – en mission diplomatique à Paris depuis l’année précédente et ami de longue date de Van den Enden – qui lança les hostilités courtoises en portant un toast.
    — « L’homme libre qui vit parmi les ignorants s’applique autant qu’il peut à éviter les bienfaits. »
    Ce que les autres reçurent d’emblée comme une critique perfide envers leur hôte, jetant sur l’assistance un linceul de silence où cessèrent les mastications. Seul Affinius saisit la finesse de la triple allusion. Il y répondit d’abord d’un clin d’œil égrillard et d’un gloussement de sa gorge replète de bouvreuil trop nourri.
    — Mon cher ami, vous m’avez touché au point faible.
    Devant la double rangée des mines circonspectes, il précisa, l’œil mi-clos :
    — D’abord en citant celui qui est devenu mon maître à penser, l’illustre Baruch Spinoza 2 , que vous ne prisez pas avec la même ferveur que moi, je le regrette, mais vous en sais gré d’autant plus. Cette poire de discorde n’est ni blette ni talée et peut encore nous offrir de savoureuses compotes d’idées en d’autres circonstances.
    On se détendit autour de

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