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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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qui le meurtrissaient davantage et l’étourdissaient.
    Submergé par une souffrance lancinante, il la regarda, sereine, apaisée. Il n’aurait jamais de réponse à ses interrogations. Tous les remords seraient pour lui, à vie, coupable involontaire de cette mort pour cent, pour mille raisons. Il voulut hurler sa haine des hommes. Aucun son ne sortit de sa gorge déchirée. Il se réfugia dans la prière. Que Dieu accueille Maline qu’il n’avait su protéger. Il pria encore et encore avec une ferveur ravivée.
    — Monsieur, il ne faut pas rester là.
    Lebayle releva la tête. C’était le chef de la patrouille qui lui restituait son épée. À regret, il se redressa, se présenta, confia qu’il connaissait la victime et qu’il souhaitait lui donner une sépulture décente. Il indiqua où l’on pouvait le joindre pour les formalités.
    — Et les trois autres spadassins ? s’enquit-il amer.
    — Se sont enfuis avant qu’on intervienne. Un de mes hommes va vous raccompagner.
    — Merci, c’est inutile, ça ira…
    Il traça un rapide portrait des forbans. La cervelle lui tournait en tous sens, le chavirait et une affreuse migraine lui enserrait les tempes, lui pressait les yeux dans un étau, mais tel un automate, il s’éloigna du lieu de la tragédie qu’un inadmissible instant de distraction de sa part avait provoquée. Il ne comprenait toujours pas l’acharnement de la veuve d’Artagnan à qui il n’avait transmis en vérité qu’une nouvelle rassurante pour l’avenir de ses fils… À moins que ses sbires n’agissent de leur propre chef, ou encore pour le compte de quelqu’un d’autre… Mais qui et pourquoi ?...
    Il interrompit le manège lancinant de sa réflexion car il longeait les murs comme un ivrogne, heurtait de l’épaule les volets mal arrimés, butait contre les sacs et matériaux au coin des échoppes, dérapait sur les déchets. Géraud Lebayle avait perdu le peu d’assurance acquise depuis sa montée en grade. À vingt-six ans, on se doit de réagir avec promptitude devant n’importe quel écueil… si l’on veut faire carrière !
    De dépit, il crispa les mâchoires, inspira l’air empuanti de la capitale, prit la direction de l’île de la Cité, se trompa de rue, consentit un détour qui l’agaça. Pour la première fois, il se retourna pour vérifier ses arrières, ne remarqua rien de suspect au milieu des activités quotidiennes. Il s’engagea sur le Pont-Neuf, très encombré comme d’ordinaire, jeta un regard désabusé à la statue équestre du bon roi Henri IV protégé par des barrières, si bon qu’on l’avait assassiné, bifurqua vers la place Dauphine, contourna ensuite le palais par la gauche, rallia la rue de la Calandre à l’angle de laquelle l’enseigne rouillée du Grand-Coq protestait à fendre l’âme et à lui égratigner les tympans. Il leva vers elle un œil sombre, n’évitant que de justesse le jeune homme qui sortait de l’ancienne auberge, fief des Renaudot pour la troisième génération.
    — Géraud ! s’ébahit celui-ci. Quel hasard et quelle mine déconfite !
    — Eusèbe.
    — Qu’as-tu, mon ami ? Un grave souci ? La santé ? Le métier ? Viens donc à la maison goûter notre vin de Montmartre.
    L’humble savant, orientaliste et échotier, prit son compère par les épaules et, sans tenir compte de ses réticences, l’entraîna à l’intérieur de la vaste bâtisse. Ils montèrent au premier, dans la salle commune, s’assirent au coin de la table et burent un grand verre de vin frais avant de parler. Géraud finit par céder en bribes laconiques le triste épilogue à Eusèbe qui tenta de le réconforter.
    — « Seul Dieu connaît le destin réservé à ses modestes créatures. »
    Soudain, Géraud se cabra.
    — Que se passe-t-il ? s’inquiéta l’oratorien.
    Il n’obtint pas de réponse. Il réitéra sa question à mi-voix, quêta encore un mot d’un regard navré et compatissant.
    — S’il n’y avait que la disparition de Maline…
    — Confie-toi, je t’en conjure, ne te barricade pas dans la douleur. Un avis extérieur ne peut être négatif.
    Eusèbe remplit les verres ; par réflexe, Lebayle y trempa les lèvres :
    — Comment… Comment vais-je annoncer cette épouvantable catastrophe à Lisa ?
    — Lisa est la petite sœur que tu as prise sous ta protection, n’est-ce pas ?
    Lourde approbation d’un hochement de tête. Il concéda quelques explications hachées sur le

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