La campagne de Russie de 1812
l'Impératrice
s'écartent. Les autres s'avancent et il se forme un cercle
silencieux autour de l'Empereur toujours muet et immobile...
D'abord les
regards se croisent, s'interrogent, puis demeurent baissés. Il
n'y a plus qu'à attendre... Au bout de sept à huit
minutes, à l'effroi général, on voit Masséna
quitter sa place, pénétrer dans le cercle « qu'un
malfaisant génie semblait y avoir tracé »
et, à pas lents, s'avancer vers l'Empereur. À peine, à
voix basse, a-t-il prononcé quelques mots que Napoléon
hurle :
– De quoi
vous mêlez-vous ?
Masséna
regagne alors sa place sans répliquer et à reculons .
« Jamais, nous dit, stupéfait, un témoin de
la scène, le despote ne m'est apparu dans Napoléon avec
plus d'arrogance et d'impudence. » Sortant enfin de sa
méditation, l'Empereur lève la tête, décroise
les bras et sort du salon, entraînant Marie-Louise, tout en
lançant un impérial :
– Venez,
madame !
Voyant selon son
expression, que « tout rentrait en problème »,
constatant que pour atteindre cette paix qui se dérobe
toujours il lui faut commencer une nouvelle campagne – et
quelle campagne ! – Napoléon, contrarié au-delà
du possible, n'a-t-il pas quelque excuse de s'être montré
aussi grossièrement assiégé par ses pensées
?...
*****
Au même
moment, Alexandre écrit à son confident, le colonel
Czartoryski : « La rupture avec la France est inévitable
à ce qu'il paraît. Le but de Napoléon est sinon
d'anéantir, du moins d'abaisser la dernière puissance
qui demeure sur pied en Europe et, pour y parvenir, il met en avant
des prétentions inadmissibles et incompatibles avec l'honneur
de la Russie. En même temps, il exige que, privé de tout
moyen d'exporter nos propres productions, nous ne mettions aucune
entrave à l'importation des produits français que nous
avons prohibés, n'étant plus assez riches pour les
payer. Comme jamais je ne puis consentir à des propositions
pareilles, il est probable que la guerre va s ensuivre, malgré
tout ce que la Russie a fait pour l'éviter. Elle va faire
couler des flots de sang. Mais cette pauvre humanité va être
encore sacrifiée à l'ambition d'un homme créé
à ce qui nous semble, pour son malheur. »
Le tsar ordonne au
général Araktcheïev, ancien ministre de la Guerre,
président impérial du comité militaire –
un vrai bouledogue, mais aussi le règlement fait homme –
de se préparer à l'inévitable confit : des
dépôts de vivres et de fourrage sont créés
près de la frontière polonaise. On décide de
tisser en quantité du drap militaire et la fabrication des
canons ainsi que celle des fusils devient intense. Et le tsar de
préciser : « Je m'attends à de premiers
échecs, mais ils ne me décourageront pas ; en me
repliant, je mettrai un désert entre son armée et la
mienne : hommes, femmes, enfants, bestiaux, chevaux, j'enlèverai
tout, et la cavalerie légère russe est unique pour
cela. »
Caulaincourt est
rappelé à Paris et le tsar lui déclare lors de
son audience de congé :
– Si
l'empereur Napoléon me fait la guerre, il est possible, même
probable, qu'il nous battra si nous acceptions le combat, mais cela
ne lui donnera pas la paix. Les Espagnols ont souvent été
battus, mais ils ne sont ni vaincus ni soumis. Cependant, ils ne sont
pas aussi éloignés que nous de Paris ; ils n'ont ni
notre climat ni nos ressources... Nous avons de l'espace, nous
possédons une armée bien organisée... Je ne
tirerai pas le premier l'épée, mais je ne la remettrai
que le dernier au fourreau... Si le sort des armes m'est contraire,
je me retirerai au Kamchatka. Tout plutôt que de céder
des provinces et de signer dans ma capitale des traités qui ne
sont que des trêves. Le Français est brave, mais de
longues privations et le mauvais climat l'ennuient et le découragent.
Ce climat, notre hiver feront la guerre pour nous...
On ne pouvait
prévoir l'avenir de manière plus clairvoyante.
*****
Alexandre se
trouve déjà à Vilna, en terre lituanienne,
attendant l'attaque de Napoléon. Attaque inévitable
puisque, le lundi 27 avril 1812, aux Tuileries, Kourakine a remis à
Napoléon un ultimatum qu'il a reçu trois jours
auparavant de Saint-Pétersbtourg. Le texte exigeait
l'évacuation intégrale de la Prusse, de la Poméranie,
et de toutes les places occupées par la France au-delà
de l'Elbe !
« Alexandre,
lui avait pourtant écrit l'impératrice
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