La campagne de Russie de 1812
mère,
arrêtez-vous, il en est temps encore. Rendez-vous à la
voix de l'honneur, aux prières, aux supplications de votre
mère. Arrêtez-vous, mon enfant, mon ami. »
Devant les
exigences formulées par le tsar, que faire, si ce n'est la
guerre ? Cependant l'Empereur tarde encore à prendre le chemin
de l'armée. Il attend le résultat de vagues
négociations menées avec l'Angleterre, qui auraient
surtout permis de mettre un point final au sanglant drame espagnol et
à l'imbroglio du commandement confié dans la péninsule,
aux seules mains du malheureux Joseph Bonaparte. Don José
Primero règne sur un royaume qui l'ignore totalement. Il
aura désormais le commandement suprême d'une armée
de près de deux cent trente mille hommes qui lui échappera
elle aussi, jusqu'à la culbute finale – deux cent trente
milles hommes formant d'excellentes troupes commandées par
Soult et Suchet, et qui vont tant manquer à Napoléon !
Et à
Saint-Cloud, l'on danse toujours... Mais l'Empereur a bien du mal à
s'intéresser aux quadrilles du carnarval. On le verra un soir
tambouriner sur la vitre d'une fenêtre chantonnant : Malbrough
s'en va en guerre , tout en appuyant sur les paroles : « Ne
sait quand reviendra » qu'il répétera deux
ou trois fois.
À Paris le
pain commence à manquer, et lorsqu'on en trouve, il est
affreusement cher. Certains affamés se révoltent.
Napoléon prend des mesures en promulguant une loi dite du
Maximum. Désormais, le blé est tarifé.
Le vendredi 8 mai
1812, veille de son départ, il reçoit Pasquier. Le
préfet semble assez pessimiste. La disette qui commence et se
prolongera à coup sûr durant trois mois risque de rendre
« la situation onduleuse », alors que
l'Empereur se trouvera à cinq cents lieues de sa capitale :
– Si
malheureusement un mouvement insurrectionnel de quelque étendue
venait à se produire, lui demande Pasquier, ne serait-il pas à
craindre qu'il eût de funestes conséquences au-dedans et
au-dehors ? Il est de mon devoir de ne pas dissimuler à Votre
Majesté les dangers que j'entrevois.
Napoléon
garde le silence et se promène selon son habitude de la
fenêtre à la cheminée, puis il se tourne
brusquement vers Pasquier :
– Oui, sans
doute, il y a du vrai dans ce que vous dites, c'est une difficulté
de plus ajoutée à toutes celles que je dois rencontrer
dans l'entreprise la plus grande et la plus difficile que j'aie
encore tentée, mais il faut bien achever ce qui est commencé.
Adieu, monsieur le préfet.
Kourakine demande
ses passeports.
Le spectre de la
guerre plane sur l'Europe. Le samedi 9 mai 1812, les Parisiens
peuvent lire ces lignes dans le Moniteur : « L'Empereur
est parti aujourd'hui pour aller faire l'inspection de la Grande
Armée réunie sur la Vistule. sa Majesté
l'Impératrice accompagnera Sa Majesté jusqu'à
Dresde où elle espère avoir le bonheur de voir son
auguste famille. »
*****
Avant de chausser
ses bottes, l'Empereur, jetant mille feux, jouera une dernière
fois son rôle d'empereur d'Occident. Il espère que ce
« triomphe » poussera Alexandre à
traiter. Il semble aussi qu'il ait besoin, pour retrouver son fameux
aplomb de présider une nouvelle fois une cour de rois et d'en
imposer à son beau-père et allié. Les ornements
impériaux sont placés dans un fourgon mystérieux,
gardé par un piquet de cavalerie. Il veut, après une
paix qui, selon lui, ne pourrait être que victorieuse, se faire
couronner à Moscou empereur d'Occident, chef de la
confédération européenne, défenseur de la
religion chrétienne.
Sur le passage du
maître, à chaque étape, entre Paris et Dresde, à
chaque relais même, les princes allemands font la haie. Le
lundi 11 mai, Napoléon et Marie-Louise quittent Metz à
2 heures du matin et, à la fin de cette troisième
journée de route, arrivent à Mayence où les
saluent les princes de Hesse-Darmstadt et d'Anhalt. Le lendemain,
départ à l'aube. A Wurtzbourg, ils sont reçus
par le roi de Wurtemberg et le grand-duc de Bade. Le mercredi, au
relais de Bamberg, les princes Guillaume et Pie de Bavière
s'inclinent bien bas devant l'Empereur. Le samedi 16 mai, veille de
la Pentecôte, venant de Plauen, l'Empereur et l'Impératrice
sont accueillis, au relais de Freyberg marquant la frontière
de Saxe, par le roi et la reine. Au son de cent coups de canon, ils
franchissent le fameux pont de pierre qui de ses seize arches
traverse l'Elbe et font tous quatre leur
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