La campagne de Russie de 1812
entrée dans Dresde
illuminée où l'empereur et l'impératrice
d'Autriche viendront les rejoindre. À la Résidence, des
gardes suisses empanachés, habillés de taffetas jaune
et violet, forment une double haie. On chante un Te Deum .
Trois salves de douze coups de canon retentissent pour marquer les
différents moments de la cérémonie. Quel
tintamarre ! Les gardes saxonnes entourent l'église et
exécutent des « feux de mousqueterie ».
Des « peuples
entiers » se pressent avec l'espoir d'entrevoir Napoléon,
nous dit le comte de Ségur. « Ils passaient des
jours, des nuits entières, les yeux fixés sur la porte
et sur les fenêtres de son palais. Ce n'est point sa couronne,
son rang, le luxe de sa cour, c'est lui seul qu'ils viennent
contempler ; c'est un souvenir de ses traits qu'ils cherchent à
recueillir : ils veulent pouvoir dire à leurs compatriotes, à
leurs descendants, moins heureux, qu'ils ont vu Napoléon ! »
À l'intérieur du palais on a bien du mal à
approcher de l'Empereur.
– Je suis
tombé dans un embarras de rois, conte Narbonne à
Napoléon, et j'ai eu peine à fendre la presse.
Les souverains,
mêlés aux grands officiers, se bousculent pour assister
au lever du maître. Napoléon a-t-il vraiment dit à
l'empereur François, au cours de l'une de ces éblouissantes
journées, que si son pauvre oncle Louis XVI avait
montré plus de fermeté, la Révolution aurait
évolué différemment ?...
Essayant de
séduire sa jeune belle-mère, Maria-Ludovica, il exécute
pour elle des ronds de jambe et se répand en amabilités,
tout cela d'ailleurs en pure perte.
– Il jase
beaucoup, raconte-t-elle, et a l'habitude de poser des questions. On
peut éviter les questions mais pas les réponses. Je
remarquai qu'il le faisait exprès et je coupai court, de façon
que la conversation ne reprît plus.
Marie-Louise,
elle, joue à la Parisienne élégante, écrase
sa famille de son luxe, offre certains de ses bijoux à sa
belle-mère à la fois dépitée, jalouse...
et ravie, « mortifiant l'amour-propre allemand par des
comparaisons peu mesurées entre son ancienne et sa nouvelle
patrie ».
François
d'Autriche, en voyant Napoléon prendre le pas sur lui, passer
le premier à table, se faire suivre à distance
respectueuse par les souverains, présider les repas, demeurer
le chapeau sur la tête, alors que lui – un Habsbourg ! –
se tient tête nue, est ahuri.
– Das ist
ein ganzer Kerl 2 ! S'exclame-t-il.
Le roi de Prusse,
toléré – il commençait à en prendre
l'habitude – arrive à son tour à Dresde et est un
peu mieux reçu qu'il ne l'espérait. Napoléon
s'est même rendu chez lui le premier – ce qui le rend
fier et heureux... Magnanime, l'Empereur accorde quelques licences
commerciales à la Prusse et prend à son compte la solde
du contingent prussien contre la Russie.
Napoléon
offre aux ministres étrangers son portrait enrichi de
diamants... Il excelle en l'art de séduire ceux qu'il veut
conquérir : « Sa voix caressante prend un charme
enjôleur. »
– Il m'a
frappé sur l'épaule ! annonce, tout heureux, le général
Klenau, « éperdu de joie et de reconnaissance ».
Mais il est temps
abandonner cette « plate-bande de souverains »
et de retrouver la Grande Armée.
*****
Napoléon
quitte Dresde le vendredi 29 mai à 5 heures du matin. Après
avoir parcouru cinquante-huit lieues, il s'arrête à
Glogau et repart aussitôt pour atteindre Posen où il
séjournera durant deux jours, « fatigué
d'avoir travaillé toute la journée »,
écrit-il à Marie-Louise. Le voici à Thorn, le
soir du mardi 2 juin, où il passe de nombreuses revues, dont
celle de la Garde en marche vers le Niémen, et qui l'acclame
longuement. Un des soldats sort du rang pour lui déclarer :
– Avec ces
troupes-là, vous pouvez aller jusqu'aux Indes !
Napoléon a
oublié sa fatigue et semble de très belle humeur. Il ne
se sent plus l'empereur d'Occident, mais le général
Bonaparte rêvant de conquêtes. Il loge dans un ancien
couvent et, la nuit, nous rapporte un témoin, « les
officiers de service, qui couchent auprès de son appartement,
sont stupéfaits en l'entendant entonner à pleine voix
un air approprié aux circonstances, un de ces refrains
révolutionnaires qui avaient mis si souvent les Français
vers le chemin de la victoire », la strophe fameuse du Chant du départ :
Et du Nord au
Midi la trompette guerrière
A sonné l'heure
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