La campagne de Russie de 1812
d'inquiétude et de
colère, l'Empereur se lève tout animé par une
nouvelle idée. Il appelle auprès de lui ses maréchaux
:
– Entrez !
s'écrie-t-il dès qu'il les aperçoit. Écoutez
le nouveau plan que je viens de concevoir. Prince Eugène,
lisez !
Sans grand
enthousiasme, le fils de Joséphine lit à haute voix ces
lignes que l'Empereur vient de tracer :
« Il
faut brûler les restes de Moscou ; marcher vers Tver sur la
route de Pétersbourg où Macdonald viendra rejointe
l'armée ! Murat et Davout feront l'arrière-garde ! »
Il y a un silence.
L'Empereur, fort agité, fixe de ses yeux étincelants
ces généraux qui ne veulent plus se battre et dont la
figure froide et silencieuse exprime la stupéfaction. Quoi ?
Avec une armée éprouvée, exsangue,
indisciplinée, réduite à un peu plus de cent
mille hommes, on va commencer une nouvelle campagne à la
veille de l'hiver ? Monter vers le nord ! Vers la Baltique souvent
prise par les glaces !
Alors,
« s'exaltant pour exalter », Napoléon
reprend :
– Hé
quoi ! c'est vous que cette pensée n'enflamme point ? Jamais
un plus grand fait de guerre aurait-il existé ? Désormais
cette conquête est seule digne de nous ! De quelle gloire nous
serons comblés et que dira le monde entier quand il apprendra
qu'en trois mois nous avons conquis les deux grandes capitales du
Nord ?
Un lourd silence
lui répond. L'état-major est las. Certains officiers
osent traiter l'Empereur de fou.
– Il veut
nous faire périr jusqu'au dernier, s'exclame l'un deux en
souvenant de hécatombe de généraux faite à
Borodino.
– Jamais,
soupire Murat, je n'ai été plus dégoûté.
Je suis fatigué de courir de grange en grange et de mourir de
faim !
Devant l'Empereur
les plus téméraires – tel Davout – lui
opposent « la saison, la disette, une route stérile
et déserte »... Dans la pensée de Napoléon,
ce projet insensé n'est-il pas seulement destiné à
effrayer les siens comme à épouvanter l'ennemi et à
amener une négociation que Caulaincourt pourrait entamer ?
Aussi appelle-t-il son grand écuyer. Agité, il se
promène de long en large, d'un mur à l'autre :
– Pourquoi
ne pas marcher sur Saint-Pétersbourg ?
Sans doute
n'ignore-t-il pas que la destruction de cette ville affligerait
particulièrement Caulaincourt.
– Alors la
Russie, lui dit-il, se soulèvera contre l'empereur Alexandre,
il y aura une conjuration contre ce monarque : on l'assassinera, ce
sera un grand malheur... Pour prévenir cette catastrophe, je
pense à vous envoyer près de lui. Vous verrez le tsar.
Je vous chargerai d'une lettre et vous ferez la paix.
Mais le duc de
Vicence refuse d'accomplir cette mission.
– Tant que
le sol russe ne sera pas entièrement évacué,
Alexandre n'écoutera aucune proposition.
Pour Caulaincourt,
cette démarche démontrerait avant tout le besoin urgent
que Napoléon a d'obtenir la paix :
– Ce serait
découvrir tout l'embarras de notre position !
– Vous vous
trompez, lui répond l'Empereur. J'ai reçu des nouvelles
de Saint-Pétersbourg. On y embarque en grande hâte les
effets les plus précieux qui ont déjà été
expédiés dans l'intérieur du pays et même
pour l'Angleterre.
Ne parvenant pas à
convaincre son grand écuyer, l'Empereur interrompt brusquement
la conversation et, lui lance en lui tournant le dos :
– Eh bien,
J'enverrai Lauriston ! Il aura l'honneur d'avoir fait la paix et de
sauver la couronne à votre ami Alexandre !
Parti le dimanche
4 octobre, Lauriston se présente aux avant-postes où il
est reçu par le prince Volkonsky, aide de camp du tsar. Le
lendemain, en dépit de l'opposition du commissaire anglais
Wilson, Koutouzov reçoit l'envoyé français. Le
plénipotentiaire officieux essaye de convaincre le maréchal
que l'amitié qui a existé entre les deux empereurs a
été brisée « de façon
regrettable par suite de circonstances purement extérieures ».
À présent, une bonne occasion ne se présente-t-elle
pas pour rétablir cette amitié ?
– Cette
guerre singulière, poursuit-il, cette guerre inouïe
doit-elle durer éternellement ? L'Empereur. Mon maître,
a un désir sincère de terminer ce différend
entre deux nations grandes et généreuses, et le
terminer pour jamais.
– Je n'ai
aucune instruction à ce sujet, répond froidement
Koutouzov. À mon départ pour les armées, le mot
même de paix n'a pas été une seule fois mentionné
!
Dédaigneux,
le
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