La campagne de Russie de 1812
maréchal russe déclare ne pas vouloir communiquer
quoi que ce soit à son souverain :
– Je serais
maudit par la postérité si l'on me regardait comme le
premier moteur d'un accommodement quelconque, car tel est l'esprit
actuel de ma nation.
Le maréchal
ajoute cette gracieuseté :
– Le peuple
russe considère les Français comme des Tartares de
Gengis Khan.
– Il y a
quand même une différence ! proteste Lauriston.
– Le peuple
russe n'en voit aucune, réplique Koutouzov, implacable.
L'ambassadeur
français n'en remet pas moins la lettre adressée par
Napoléon à Alexandre. Puis il retourne auprès de
l'Empereur pour lui faire un compte rendu de l'insuccès de son
entrevue. Mais Napoléon – aveuglé –
s'exclame :
– À
la réception de ma lettre, on verra Pétersbourg faire
des feux de joie !
Quand le tsar
prend connaissance du rapport que Koutouzov, en dépit de ses
dires, lui a fait parvenir, il s'écrie :
– La paix ?
Mais nous n'avons pas encore fait la guerre. Ma campagne ne fait que
commencer !
« Toutes
les nouvelles que vous recevez de moi, fait-il savoir au maréchal,
toutes mes exhortations, tous les ukases émis à votre
nom, en un mot tout vous convainc de ma ferme résolution : à
l'heure présente, aucune proposition de l'adversaire ne
m'incitera à cesser les combats et, ce faisant, à
affaiblir l'obligation sacrée de venger la patrie offensée. »
Et le silence se
prolonge entre Moscou et Saint-Pétersbourg.
– L'empereur
Alexandre est un entêté, constate Napoléon avec
amertume. Il s'en repentira. Il n'aura jamais d'aussi bonnes
conditions que celles que je lui aurais faites en ce moment. Il s'est
fait assez de mal en brûlant ses villes et sa capitale pour que
je n'aie plus rien à lui demander. Il ne lui en aurait pas
coûté aussi cher pour confisquer les vaisseaux anglais.
Si les Polonais ne se lèvent pas en masse pour se défendre
contre les Russes, la France a fait assez de sacrifices pour eux,
pour que je puisse en finir et faire la paix, en ménageant
toutefois leurs intérêts particuliers.
Il poursuit et
s'étourdit de paroles :
– Je vais
attaquer Koutouzov. Si je le bats, comme c'est probable, l'empereur
Alexandre court de grands risques. Il pourrait finir aujourd'hui d'un
mot. Qui sait ce qu'il se passera dans la campagne prochaine ? J'ai
de l'argent, plus de troupes qu'il n'en faut. Je vais recevoir
soixante mille cosaques polonais. J'en aurai quinze mille la campagne
prochaine. J'ai l'expérience de cette guerre. Mon armée
aura celle du pays et des troupes auxquelles elle aura à
faire. Ce sont des avantages incalculables. Si je prends mes
quartiers d'hiver ici ou à Kalouga, même à
Smolensk et à Vitebsk, la Russie sera perdue.
Quel aveuglement !
Caulaincourt lui donne son point de vue. Il n'est pas impossible que
les Russes laissent à Napoléon l'espoir d'un
arrangement afin de l'endormir à Moscou. Toujours selon le
grand écuyer, à Saint-Pétersbourg, on doit
« sentir nos embarras » :
– Qu'appelez-vous
nos embarras ? s'exclame l'Empereur.
– L'hiver,
Sire, en sera déjà un bien grand, le manque de
magasins, de chevaux pour votre artillerie, de transports pour vos
malades et vos blessés, les mauvais vêtements de vos
soldats. Il faudrait à chacun une peau de mouton, des gants
bien fourrés, un bonnet pour couvrir ses oreilles, de grands
chaussons, des bottes pour les empêcher d'avoir les pieds
gelés. Tout vous manque. On n'a pas préparé un
seul fer à crampon pour les chevaux. Comment traîneront-ils
l'artillerie ? Ce que j'aurais à dire sur cela à Votre
Majesté serait à l'infini. Ensuite, l'interruption de
vos communications. La saison est encore belle : que sera-ce dans
quinze jours, dans un mois, peut- être même plus tôt
?...
L'Empereur ne veut
pas l'avouer, mais il sent bien que Caulaincourt a raison.
– Vous
croyez donc que je quitterai Moscou, interrompt-il ?
– Oui, Sire.
– Ce n'est
pas certain. Nulle part, je ne serai mieux qu'à Moscou.
L'Empereur essaye
maintenant de convaincre Caulaincourt – et de se convaincre
lui-même. Il tient pour négligeables les inconvénients
de l'hiver.
– Vous ne
connaissez pas les Français, affirme-t-il avec optimisme. Ils
auront tout ce qu'il faudra. Une chose tiendra lieu d'une autre.
Il se moque même
des observations de Caulaincourt concernant le ferrage à glace
des chevaux. Il lui paraît certain que l'on trouvera
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