La campagne de Russie de 1812
sans doute à mon
griffonnage. »
Le feu prend à
l'entrée d'une grange où s'est réfugié un
groupe de soldats français, allemands et italiens. « Alors,
écrit le sergent Bourgogne, nous fûmes témoins
d'un tableau qu'il serait difficile de peindre. Ce n'était que
des hurlements sourds et effrayants que l'on entendait. Les
malheureux que le feu dévorait jetaient des cris
épouvantables. Ils montaient les uns sur les autres afin de se
frayer un passage par le toit. » Mais les flammes les
poursuivaient, leurs habits prenaient feu et « les
refoulaient dans le fond de l'abîme ».
Malheur aux
traînards ! En Arrivant à Dorogobouje, sur le bord du
Dniepr, le baron russe Waldemar de Löwenstern voit un horloger
chassé par les Français qui se sont installés
dans sa maison. Ce dernier saisit alors un couteau et en tue trois ou
quatre ! Ceux qui occupent le village prennent aussitôt la
fuite en sautant par-dessus les vignes. Mais bien peu parviennent à
s'échapper ! « Les habitants, plus vigoureux et
plus frais que ces pauvres malheureux, qui sont exténués
de fatigue et de froid, poursuit le baron les atteignent bientôt
et les massacrent ! tous, sans miséricorde, avec des haches,
des faux, des masses, enfin avec tout ce qui leur tombe sous la main.
Ce spectacle est affreux. Ils ont l'air de cannibales, et une joie
féroce brille sur leur figure. Après s'être
rassasié de carnage, l'horloger revient tout triomphant, son
couteau sanglant à la main et se gloussant de l'avoir enfoncé
dans le cœur de vingt victimes... »
Déjà,
bien des hommes marchent désarmés. À leur bras
engourdi par le froid et la fatigue, leur fusil semble un terrible
poids. L'arme s'échappe alors de leurs mains et se perd dans
la neige... De plus en plus nombreux, des soldats quittent leur unité
pour marauder. Lorsque tombe l'interminable nuit, les malheureux sont
perdus. La neige recouvre tout et « l'on ne sait où
s'arrêter, s'asseoir, se reposer, rapporte le comte de Ségur,
où trouver quelques racines pour se nourrir, et du bois sec
pour allumer les feux » !
Le matin, on se
remet péniblement en marche. Les survivants marchent vers
Smolensk comme s'ils s'avançaient au-devant de la Terre
promise. Là, ils vont trouver des maisons chauffées !
Ils pourront dormir, se laver, manger, s'habiller de vêtements
propres ! On croit d'autant plus que l'on va trouver l'abondance que,
le samedi 7 novembre, on a reçu un convoi de vivres expédié
de Smolensk et destiné à l'arrière-garde de Ney,
assurément la plus démunie...
*****
Le dimanche 8
novembre, à Beredikino, dernière maison de poste avant
Smolensk, Napoléon pense un instant pousser jusqu'à la
ville avec son escorte habituelle. Mais le temps est devenu si
glacial, on a eu tant de mal à marcher sur les routes
verglacées que l'Empereur n'ose pas abandonner ses hommes.
Les
chevaux tombent à chaque pas. « Après
quelques vains efforts, rapporte Caulaincourt, ils restaient étendus
et il était impossible de les remettre sur pied. Le glissant
du chemin en fit abandonner un très grand nombre. C'est de là
que datent les grands désastres de notre retraite. »
« Les grands désastres »
Et voici enfin
Smolensk ! Le 9 novembre, vers midi, les clochers de la ville se
détachent sur un ciel ensoleillé. Le thermomètre
marque moins 16 degrés. C'est à pied, en marchant sur
le sol glacé, que Napoléon entre par la porte de Moscou
dans la vieille cité.
Hors
la Garde qui conserve ses rangs, le reste des troupes court vers les
hautes murailles rouges de la ville occupée par une petite
garnison française, mais les portes demeurent fermées.
Cette foule désordonnée, ces figures hâves,
noircies de terre et de fumée, ces uniformes en lambeaux, ces
vêtements bizarres, ces hommes vêtus de pelisses de satin
rose ou lilas épouvantent. Enfin, après une longue
attente sur les rives du Dniepr – le Borysthène, disent
les Russes – les malheureux peuvent pénétrer dans
la ville. Les distributeurs de vivres ne donnent des rations qu'aux
officiers d'unités demeurées constituées. Les
autres – les deux tiers de l'armée – ceux qui
n'ont plus d'officiers, qui ignorent même où se trouvent
leurs régiments, les nombreux domestiques et les femmes aussi
qui accompagnent les combattants, se répandent dans les rues
espérant pouvoir piller la ville. « Mais partout,
racontera encore Ségur, des chevaux disséqués
jus qu'aux os leur
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