La campagne de Russie de 1812
pour la France et de prendre les arrêts
chez lui. Au moins, il ne périra pas sous deux pieds de neige
!...
L'armée
russe-suédoise de Wittgenstein semble vouloir opérer sa
jonction avec les forces de Tchitchagov – dite l'armée
de Moravie – et fermer la retraite à celle qu'elle n'ose
déjà plus appeler la Grande Armée. Il faudra
donc quitter Smolensk et marcher vers la lointaine Vilna. non point
par Vitebsk comme à l'aller, mais par Orcha et Bohr, afin de
ne pas avoir en face de soi les deux armées ennemies fortes,
l'une de quarante-cinq mille hommes, l'autre de trente-cinq mille
combattants, qui doivent encore être contenues par les corps
d'Oudinot et de Victor. Du moins, on l'espérait... Il y avait
aussi les soixante mille soldats de Koutouzov qui continuaient à
talonner Napoléon et même à le dépasser.
Ce serait alors l'encerclement !
Cependant, la
nouvelle route choisie obligera à traverser la Bérézina,
cet affluent du Dniepr long d'un peu plus de cinq cents kilomètres
et rendu célèbre par le passage de Charles XII... On
n'a cependant pas le choix.
C'est
le seul espoir qui demeure pour passer !
*****
Le samedi 14
novembre, l'Empereur s'apprête à quitter Smolensk, à
8 h 30 du matin. Le thermomètre marque 26 degrés en
dessous de zéro et il fait encore nuit ! Napoléon a
changé de tenue. Il porte maintenant une pelisse polonaise et
s'est coiffé d'un bonnet de velours vert garni de fourrure,
duquel s'échappe un gland en or. Cette toque étrangement
fixée par deux rubans noirs qui viennent se joindre sous son
menton. La femme du régisseur du théâtre de
Moscou – Mme Domergue – le regarde « frappée
comme d'un sinistre augure, à la vue de ces rubans de couleur
lugubre et en n'apercevant plus sur sa tête ce chapeau talisman
qui semblait protéger son front et son génie ».
Elle est assise sur l'affût d'un canon, son petit garçon
pleure de froid dans ses bras. L'Empereur s'approche :
– Vous
souffrez bien, n'est-ce pas, madame ?... Mais prenez courage, vous
reverrez votre mari et je vous dédommagerai de vos malheurs.
– Sire,
répond-elle, votre bonté me les fait oublier.
« Alors,
racontera Mme Domergue, il caressa de ses doigts potelés la
joue de mon fils, et s'éloigna en soupirant... Nous
conservâmes quelques jours encore, après notre départ
de Smolensk, une vache, qui fournissait un peu de lait à mon
fils... Elle fut tuée et mangée. Ce fut alors avec du
sucre, du chocolat et des confitures, en un mot avec tout le superflu
d'une table luxueuse, que, pressée par la famine, j'alimentai
mon enfant... »
Chaque chef de
corps a dû fournir un état par colonne, indiquant le
nombre des blessés hospitalisés « susceptibles
de se rétablir » :
1° Dans
huit jours.
2° Dans quinze jours.
3° Dans
un mois
4° Le nombre d'hommes devant
mourir dans quinze jours.
5° Le nombre d'hommes devant
mourir dans huit jours.
Il a été
ordonné et de ne faire soigner et de ne transporter que les
hommes compris dans la première catégorie.
Le « reste »,
soit cinq mille malheureux, devant être abandonné...
À la Porte
de Krasnoïé, de nombreux blessés qui ne font pas
partie de la première catégorie se sont enfuis de
l'hôpital, se sont traînés jusqu'à la
sortie de la ville et supplient les conducteur des chariots de les
emmener avec eux. Mais ceux-ci refusent : ils n'ont plus de place !
Une heure après
le départ de la « clef de la Russie »,
on entend une terrible explosion : c'est la citadelle de Smolensk qui
saute !
Anatole de
Montesquiou le racontera plus tard : « Il y eut un moment
où nous nous retournâmes pour revoir encore Smolensk. Je
me rappelle parfaitement cette journée, le bruit de la neige
dure et crissante sous nos pieds , ce ciel de plomb si voisin de nous
qu'il semblait sur nos têtes, et les paillettes brillantes
d'une humidité gelée qui flottait dans l'air. Le soleil
alors ne restait pas longtemps sur l'horizon. C'était là
le plus grand de nos malheurs, car l'obscurité amenait avec
elle un grand souffle de désolation. »
Anatole de
Montesquiou sera hanté jusqu'à sa mort par cette scène
: « Vers le soir de ce jour, nous vîmes tomber
quelques uns des soldats isolés qui marchaient près de
nous. D'abord je crus qu'ils faisaient des faux pas ; mais les
malheureux tombaient pour ne plus se relever. Nous en ramassâmes
plusieurs. Nous les mettions debout, nous tâchions de les
rassujettir
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