La case de L'oncle Tom
vieux est mort.
– D’où êtes-vous ? demanda Tom.
– De là-haut, du Kentucky. J’étais à un homme qui me faisait élever mes enfants pour le marché, et qui les vendait au fur et à mesure qu’ils étaient sevrés : et en dernier il m’a vendue aussi, moi, à un trafiquant, de qui mon maître m’a rachetée.
– Qui a pu vous pousser à boire ?
– La misère ! J’ai eu un enfant depuis que je suis ici, et je croyais qu’on me le laisserait, puisque le maître n’en trafiquait pas. C’était ben la pus gentille petite créature ! Maîtresse en était comme affolée d’abord. Jamais ça ne pleurait ! – Si dodu, si vivace ! – Mais maîtresse tomba malade ; moi, je la veillais. Je gagnai la fièvre ; mon lait passa et l’enfant dépérit, vu que maîtresse ne voulait pas lui faire acheter du lait. J’avais beau dire qu’il ne m’en restait pas une goutte ; elle ne m’écoutait pas ! ou elle disait que je pouvais ben nourrir l’enfant avec ce que tout le monde mangeait ; et le pauv’ petit agneau devenait maigre à faire peur ! Il n’avait pas que la peau et les os ! il ne jetait qu’un cri de nuit comme de jour. Ça ennuya maîtresse qui se fâcha : elle dit que je le gâtais, qu’elle voudrait le voir crevé ! Elle me défendit de le garder à côté de moi, parce qu’il me tenait réveillée, et que je n’étais pas bonne à rien le lendemain. Elle me fit coucher dans sa chambre ; il me fallut porter mon pauv’ petit dans un grenier, où il pleura et cria toute la nuit à mort ! – Et il mourut. Je me suis mise à boire pour chasser son cri de mes oreilles. J’ai bu – et je boirai ! quand même ça me mènerait droit en enfer ! le maître dit que j’irai en enfer ! moi, je dis que j’y suis déjà !
– Oh ! pauvre chère créature ! penser que personne ne vous a jamais dit que le Seigneur Jésus vous aime, qu’il est mort pour vous ! On ne vous a pas dit qu’il viendrait à votre aide, que vous pourriez aller au ciel et vous y reposer à la fin ?
– Moi ! que j’aie la chance d’aller au ciel ! dit la femme ; est-ce pas là que vont les blancs ? supposons qu’ils me rattrapent encore là-haut ? j’aime mieux aller en enfer et en avoir fini des maîtres et des maîtresses ! oui, je l’aime mieux ! » dit-elle ; et, rechargeant son panier sur sa tête avec son gémissement habituel, elle s’éloigna.
Tom reprit tristement le chemin du logis. Dans la cour il rencontra la petite Éva, une guirlande de tubéreuses sur la tête, et les yeux rayonnants de joie.
« Oh Tom ! vous voilà ! je suis bien aise de vous avoir trouvé ! papa veut que vous atteliez tout de suite les poneys, pour me mener promener dans ma petite voiture neuve, dit-elle. Mais qu’y a-t-il, Tom ? vous avez l’air si grave !
– Je ne suis pas à mon aise, miss Éva, dit Tom ; je vais tout de même atteler les chevaux.
– Dites-moi, Tom, qu’y a-t-il ? je vous ai vu causer longtemps avec cette vieille grognon de Prue. »
Tom conta l’histoire de la femme à Éva, en son langage simple et naïf.
Elle ne se récria pas, ne s’étonna pas, ne pleura point, comme l’eussent fait d’autres enfants. Ses joues devinrent pâles, et une ombre profonde voila l’éclat de ses yeux. Elle appuya ses deux mains sur sa poitrine, et soupira péniblement.
CHAPITRE XX
Suite des expériences et opinions de miss Ophélia.
« Tom, il est inutile de mettre les chevaux, je ne sortirai pas.
– Pourquoi, miss Éva ?
– Ces choses m’entrent dans le cœur, Tom, dit Éva ; elles m’y entrent si avant ! répéta-t-elle d’un air grave ; non, je ne sortirai pas. » Et laissant Tom, elle rentra dans la maison.
Peu de jours après, une autre femme vint à la place de Prue apporter des biscottes. Miss Ophélia était à la cuisine.
« Eh Seigneur ! s’écria Dinah, qu’est-ce que Prue a donc attrapé ?
– Prue ne reviendra plus, dit mystérieusement la femme.
– Pourquoi ? demanda Dinah ; elle n’est pas morte ?
– Nous ne le savons pas au juste. Elle est en bas, dans la cave, » répliqua la femme, jetant un coup d’œil du côté de miss Ophélia. Celle-ci choisit les biscottes, et Dinah suivit la porteuse dehors.
« Qu’a donc Prue ? »
La femme, qui semblait partagée entre le désir de parler et une certaine crainte, répondit à voix basse :
« Eh bien ! vous ne le direz à personne : Prue s’est encore
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