La chambre du diable
le
dominicain.
– Moi.
L’homme s’avança, casque à la main. Il avait un visage
de jeune campagnard, ouvert et franc, les joues gercées et rubicondes. Il
regarda à nouveau la dépouille et se précipita pour vomir dans le petit pot de
chambre, sous la fenêtre.
Athelstan s’accroupit et appuya la main sur la joue de
Maneil. Elle n’était pas encore froide. Aspinall entra. Il lança un coup d’œil
au corps, gronda, s’agenouilla et délaça le justaucorps. Le dominicain put voir
le gros trou rouge enflammé autour du carreau. Il tourna les yeux vers l’huis. Le
mort avait été projeté à au moins deux ou trois pieds de la porte par la force
de l’impact.
– Il a dû mourir sur le coup, commenta-t-il. L’arbalète
n’était sans doute qu’à quelques pouces de son cou.
Athelstan fouilla dans la sacoche de Maneil mais ne
trouva que quelques pièces et un bout de parchemin. Il retourna vers la couche
et examina la couverture sale et froissée. Il la prit et renifla l’odeur aigre
et âcre de sueur sèche. Il reposa la courtepointe et se retourna quand on
introduisit Gresnay et Vamier. Sir John congédia la sentinelle mais demanda à
Gismond de rester. Les deux Français jetèrent un coup d’œil au visage de feu
leur compagnon, puis allèrent s’asseoir sur le lit, l’air profondément abattu.
– Nous allons mourir, prophétisa Gresnay. Nous
allons mourir dans ce château de malheur. Tués par un Anglois coé. Vous
comprenez ?
Il se releva, la figure marbrée par le courroux, et se
tourna vers Sir John, mais Gismond s’interposa.
– Vous feriez mieux de vous asseoir, dit-il d’une
voix calme. Messire le coroner n’est point responsable du meurtre de votre ami.
– Eh bien, qui l’est, alors ? cracha Vamier
qui désigna la pièce d’un geste ample. Où est l’arbalète ? Où est le
carreau ? Gresnay et moi n’avons pas même une épingle à nous deux.
– Messire Gismond, aboya Sir John, allez chercher
Maltravers. Je veux qu’on fouille cet endroit à la recherche de couteaux, dagues,
arbalètes, tout objet suspect !
Il ordonna à Vamier de soulever le cadavre par les
pieds, et installa la dépouille sur le lit. Athelstan s’agenouilla, murmura l’absolution
et fit un signe de croix. Il en avait à peine terminé quand Sir Walter pénétra
en titubant dans la chambre, se tenant le ventre à deux mains. Il jeta un bref
coup d’œil au corps et se laissa tomber sur le seuil. Il était blême et des
mouchetures de vomi tachaient la commissure de ses lèvres.
– Un autre mort ! dit-il d’une voix rauque. J’ai
tout perdu.
Il se mit à pleurer en silence, tête basse, épaules
tressautant.
Les prisonniers eux-mêmes eurent un regard de
compassion pour leur geôlier.
– Je jure par Dieu que je n’ai trempé dans la
mort d’aucun d’entre eux. Le trépas de ma fille est un châtiment divin pour mon
cœur plein de haine !
Sir John s’avança et s’accroupit près de lui.
– Allons, messire, le pressa-t-il. Buvez une
goutte de vin. Ça vous remettra l’estomac si vous n’en prenez pas trop.
Le gouverneur obtempéra.
– Debout, à présent, l’encouragea le coroner en
le tirant par le coude. Vous êtes un chevalier anglais, vous êtes bouleversé, et,
comme nous tous, vous vous trouvez dans la Chambre du Diable. Un tueur hante
les couloirs d’Hawkmere. Il se peut que ce soit l’un d’entre eux, dit-il en
montrant du doigt les deux Français, ou, en fait, n’importe qui d’autre en ces
lieux.
– Ce ne peut être les Français, grommela Sir
Walter à voix basse, l’air gêné. Même mes propres hommes ne portent point d’arbalète.
Elles sont sous clé dans l’armurerie qui est elle-même verrouillée à double
tour. Gismond garde une clé et moi l’autre.
Implorant, il écarta les bras.
– Sir John, que dois-je faire ?
– J’ai une idée, intervint Athelstan. Et elle
peut sauver des vies. Que l’on sépare nos deux captifs français et qu’ils
soient enfermés dans leur chambre. Avec un garde dans la pièce et un à l’extérieur.
Qu’on leur apporte la nourriture tout droit des cuisines. Il leur sera interdit
de voir quiconque, sauf la sentinelle qui se trouvera dans la chambre avec eux.
Vamier était sur le point de protester quand le
dominicain leva la main.
– Non, non, c’est plus sûr ainsi !
– Il a raison, admit Gresnay. Il aurait fallu le
faire plus tôt. Je suis navré, Pierre, ajouta-t-il en lançant
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