La chambre du diable
Valerian
s’arrêta, la main sur le poignard. Il pouvait distinguer la masse sombre de l’édifice
avec son haut clocher qui se découpait sur le ciel étoilé. Il scruta le sommet
crénelé mais ne vit ni flamme ni lumière indiquant que le frère observait les
constellations. Il était sur le point de reprendre sa route quand il s’immobilisa.
Y avait-il là quelque chose d’insolite ? La veille, l’orage déchaîné avait
pu empêcher le prêtre de monter au clocher. Mais il était évident que, par une
nuit claire comme celle-ci, il ne manquerait pas de saisir l’occasion. Valerian
s’humecta les lèvres. Il devait être prudent, très prudent.
– Qu’attendons-nous ? siffla Domitian.
– Je ne sais pas.
– Tout va bien ?
– Et pourquoi pas ? Il ne nous est pas très
facile de rebrousser chemin.
Tentant de percer les ténèbres, Valerian fit avancer
son poney. Ils franchirent le ru asséché par la chaleur estivale. Ils
parvinrent près du mur. Valerian prit une corde et grimpa. Puis il lança un
bout de la corde autour d’une branche du sycomore, la fit descendre, fabriqua
un nœud coulant et se laissa glisser dans le fossé. Y avait-il quelque chose d’anormal ?
Ces imbéciles creusaient, en général, à une certaine profondeur ; et voilà
que ça semblait être plus superficiel. Il regretta de ne pas avoir de lumignon.
La terre avait-elle été retournée ? Ces deux nigauds avaient-ils eu l’audace
de chercher à savoir ce qui était enterré ici ?
– Allez ! le pressa son compagnon.
Un sac passa par-dessus le mur. Valerian s’en saisit
et le déposa dans la tranchée. Un second ; puis, soudain, une lumière perça
les ténèbres. Valerian rampa hors du fossé.
– Par le… ? s’exclama-t-il.
Il ouït, derrière le mur, le raclement de l’acier. Des
silhouettes, des formes, surgirent de l’ombre. Valerian reconnut le petit
dominicain. Il dégaina sa dague, prit une position de combat et observa les
autres arrivants. Ce n’étaient pas des soldats ! C’étaient des baillis de
la ville, des dizainiers, des hommes chargés de famille et timides comme des
souris. Valerian tenta sa chance. Il bondit en avant et les baillis s’éparpillèrent.
Il regarda par-dessus son épaule : il était hors de question d’atteindre
le mur mais, s’il pouvait se faufiler dans le cimetière, il lui serait aisé de
se perdre dans les rues de Southwark. Il allait avancer quand surgit une large
et massive silhouette. À la lueur des torches, Valerian distingua un visage
rubicond et moustachu, une cape rejetée en arrière, une épée et un poignard
dans les mains de l’homme.
– Du vent, tonneau de lard, si tu ne veux pas que
je te perce la panse !
– Je reconnais cette voix, meugla le magistrat. Dépose
tes armes, mon beau, et rends-toi à Sir John Cranston, coroner du roi !
– Au Diable !
Valerian s’élança. Gros et vieux, le coroner ne serait
pas vraiment un obstacle, mais il s’écarta brusquement. Valerian s’arrêta, se
retourna et battit l’air de son épée. Le magistrat la bloqua. Valerian recula, la
nuque baignée d’une sueur froide. Sir John était léger comme un danseur. Il
revint à la charge par la bande, cherchant une ouverture, ses armes fendant l’air
en un tourbillon d’acier. Il fît sauter la dague de Valerian, qui saisit alors
son épée à deux mains et se rua en avant. Peut-être parviendrait-il à effrayer
son adversaire ? L’épée fendit l’air. Valerian comprit qu’il avait commis
une erreur juste quelques secondes avant que le fer de Cranston s’enfonce
profondément sous son cœur. Il sentit de brûlants élancements de douleur et le
sang se mit à bouillonner dans sa gorge. Il s’effondra sur les genoux ; le
ciel sombre tournait, les voix étaient un grondement sourd et, crachant le sang,
il s’écroula sur le sol.
Sir John Cranston, le souffle court, rengaina son arme
après l’avoir essuyée sur la cape du mort. Il ordonna au bailli de s’approcher
avec sa torche, retourna le cadavre et abaissa le masque.
– Par les couilles de Satan ! jura-t-il. C’est
Ralph Hersham !
Athelstan s’agenouilla et repoussa le capuchon. Il
reconnut les traits maussades et renfrognés de l’écuyer de Sir Thomas Parr. Il
lui administra les derniers sacrements et, au moment où il cherchait le pouls
au cou, s’aperçut que l’âme s’était envolée pour subir son jugement. Il se
releva en entendant des cris monter du fond
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