La chambre du diable
et
méprisable.
– Et voilà que le démon a grandi ?
– Oui, il est devenu terrible et redoutable. Les
propriétaires terriens et les tout-puissants ne gabent plus mais, installés dans
leurs chambres fortes, se grattent le menton en s’interrogeant sur ce qui se
passera quand la tempête se déchaînera.
– Il faut que j’examine ces flèches, déclara
Athelstan.
Le coroner et le dominicain sortirent. Athelstan fut
frappé par la rapidité avec laquelle la rumeur s’était répandue. Quelques-uns
de ses paroissiens se rassemblaient sur le parvis de l’église : Ursula la
porchère, Pernel la Flamande, Mugwort le carillonneur, Amisias le fouleur et d’autres.
Ils faisaient mine de deviser et, à l’arrivée du dominicain, levèrent des yeux
coupables.
– Je sais pourquoi vous êtes ici, dit-il. Mais
vous devez rentrer chez vous. N’approchez ni l’église ni le cimetière aujourd’hui.
L’incident est clos.
– Et mes peintures ? s’inquiéta Huddle au
fond du groupe.
– Huddle, mon garçon, ne mens pas à ton pasteur !
La journée est avancée et la lumière décline. Ça attendra demain.
La petite foule se dispersa. Athelstan se trouvait à
la grille quand il s’entendit appeler. Sir Maurice s’approcha à grands pas et
fourra un rouleau de parchemin dans la main du dominicain.
– Vos frères de Blackfriars vous saluent.
Il se tapota l’estomac avec un grand sourire.
– Vous auriez dû venir, messire le coroner :
de la bière savoureuse et des pâtisseries douces en bouche !
Athelstan ouvrit le message.
– Qu’y a-t-il, mon frère ? questionna Sir
John devant l’air déçu de son secrétaire.
– Simeon dit qu’il faudra un peu de temps. Il
espère, toutefois, que j’aurai une réponse d’ici demain matin. Je m’apprêtais à
aller examiner les flèches, mais peut-être, Sir John, en ai-je assez fait pour
la journée ?
– Je pense qu’il est temps, énonça Cranston, que
nous nous préparions à recevoir nos visiteurs nocturnes. Avec votre permission,
Henry Flaxwith et ses gaillards resteront ici. Les deux écervelés sont bien
enfermés dans l’église ?
Athelstan acquiesça.
– Bon !
Le coroner se frotta les mains.
– Maltravers, je vous expliquerai tout à l’heure
ce qui se passe. Quoi qu’il en soit, je vous laisse de garde. Que personne ne
pénètre dans l’église ni dans le cimetière. Vous vous êtes restauré et il est
grand temps qu’Athelstan et moi-même fassions de même.
Il donna une tape sur l’épaule du jeune chevalier.
– Installez-vous donc pour rédiger un poème d’amour,
frère Norbert. Je lèverai mon gobet en votre honneur à la taverne !
Les ténèbres recouvraient Southwark, quand les deux
hommes, emmitouflés, encapuchonnés et masqués, épée et poignard cliquetant à la
ceinture, menèrent leurs deux poneys de bât dans les rues du quartier. Valerian
et Domitian avaient retrouvé le roulier dans les champs, au-delà de la taverne
du Tabar. On avait vidé la charrette et chargé
les bêtes de somme. Et, à présent, ils cheminaient à travers les sinistres
ruelles et venelles. Les masures, les maisons en ruine qui s’élevaient, sombres
et menaçantes, de chaque côté, cachaient le ciel nocturne. Ils usèrent de leur
masque pour se boucher le nez devant la puanteur qui montait des tas d’ordures
et des caniveaux non curés. Des chats se battaient et poussaient de rauques
miaulements ; des rats se glissaient hors des murs crevassés. Dans les
coins, des mendiants pleurnichaient. Leurs sébiles tendues n’attendrirent guère
les deux silhouettes noires. De temps à autre, des visages, derrière un volet
clos, risquaient un œil inquisiteur. Mais Valerian et Domitian étaient bien
connus des bandes qui régnaient sur Southwark et beaucoup plus redoutés que les
espions ou les agents de Jean de Gand. Valerian tira sur la corde et lança un
coup d’œil à son compagnon pardessus son épaule.
– Ce ne sera pas long.
– Combien de temps encore ?
– Peut-être quatre ou cinq nuits de labeur et
nous en aurons fini.
Ils continuèrent à avancer. Les poneys suivaient, dociles.
On avait entouré leurs sabots de chiffons et les deux coquins, ayant aussi
enveloppé de laine leurs bottes, semblaient glisser comme des fantômes d’une
rue sombre à l’autre.
La rangée de maisons prit fin. Ils traversèrent le
terre-plein aride qui s’étendait jusqu’aux murs du cimetière de St Erconwald.
Weitere Kostenlose Bücher