La chambre maudite
sur une étagère la bouteille ornée d’une tête de mort et, à l’aide d’un entonnoir, en remplit une nouvelle. « Cette nuit, songea-t-elle, c’est la dose entière qu’il avalera. Ainsi je serai libre. »
Ce fut donc sans la moindre inquiétude qu’elle vaqua à ses occupations en cette splendide journée du 1 er juillet 1516. Désormais Philippus ne tarderait plus, ce n’était qu’une question de jours, d’heures peut-être.
Lorsqu’elle fit jouer le mécanisme d’ouverture, elle grimaça sous les coups de pied de l’enfant. Elle le sentait descendre dans son ventre, se mettre en place. Il lui semblait pourtant que c’était trop tôt. Son septième mois de grossesse s’achevait à peine. Sans doute n’appréciait-il pas les longues et difficiles marches dans l’humide boyau. Elle le caressa d’une main tendre en pénétrant dans la pièce obscure.
D’ordinaire les rideaux restaient ouverts, répandant dans la chambre la faible clarté lunaire ; là elle s’avisa qu’ils avaient été tirés, sans doute pour soulager la migraine du malade. Elle se guida vers le lit lorsque ses yeux se furent habitués à la pénombre, puisqu’elle laissait invariablement sa lanterne en haut des degrés, juste avant le passage.
François dormait sur le dos comme à son habitude. Elle extirpa la fiole et se pencha au-dessus de lui. Au moment où elle allait en déverser le contenu dans sa bouche entrouverte, une poigne de fer arrêta son geste. Elle hurla de surprise. Les yeux grands ouverts, le seigneur de Vollore la regardait. Elle tenta d’écarter cette poigne solide qui lui enserrait le bras, mais presque aussitôt la pointe d’une lance la piqua entre les omoplates tandis qu’elle entendait derrière elle le craquement d’une pierre à feu.
L’instant d’après, elle se retrouvait cernée par trois gardes qui s’étaient dissimulés contre le mur de part et d’autre de la cheminée, chacun pointant une arme vers elle. Mais, plus que ces hommes, c’est le regard de François de Chazeron révélé par la lumière de la lampe qui l’effraya. Il était livide, les yeux exorbités par la surprise.
– Vous ! lâcha-t-il dans un souffle, comme si toute réalité lui échappait soudain.
Loraline ne trouva rien à répondre. Elle était face à ce père que le destin lui avait imposé, ce père haï, ce père monstrueux, et elle ne songeait qu’à l’enfant dans son ventre : parviendrait-elle à le sauver de ce fou ?
Son regard se détacha de François et accrocha le flacon qui s’était brisée en tombant de sa main violentée par la poigne du seigneur. Le liquide s’était répandu sur le sol et glissait le long des fines rainures du parquet. Cela n’avait plus d’importance désormais qu’il soit perdu. Tout était perdu.
– Emmenez-la, lâcha François de Chazeron. Jetez-la dans un cachot ! Non, attachez-la solidement avec des chaînes ! Que nul ne sache, vous entendez ! Raguel, poste-toi devant la chambre de dame Albérie et assure-toi qu’elle n’en sorte pas. Si elle t’interroge, dis-lui que je suis souffrant et tiens à m’assurer que le mal ne se répande pas. Agis de même avec ma femme et ses suivantes.
Loraline faillit prendre la défense de sa tante mais s’en abstint. Il valait mieux qu’il s’imaginât qu’elle ignorait l’existence de sa nièce. A cause du ventre qui gênait ses mouvements, Loraline se laissa emmener sans résistance.
« Philippus ne tardera pas, se dit-elle pour se rassurer. Avec tante Albérie, ils trouveront le moyen de nous sauver. »
Lorsque la porte du cachot s’ouvrit, elle savait déjà qui la lueur des torches lui amenait. François de Chazeron attendit que le battant de fer se referme derrière lui pour s’avancer jusqu’à sa prisonnière. Il portait le bras en écharpe, et une tache rougeâtre maculait un bandage épais. Son teint était crispé et cireux, mais son expression paraissait déterminée.
Lorsqu’il fut à quelques pas d’elle, il dévoila ce qu’il avait en main : une barrette d’or que Loraline avait rapportée dans la grotte la veille. Elle fut prise d’une angoisse irraisonnée. Il avait trouvé le passage bien sûr, et avait découvert son secret. S’il en était revenu vivant, c’était sans nul doute que ses hommes et lui avaient exterminé les loups. Elle eut envie de pleurer soudain mais se retint. Elle ne voulait rien laisser paraître. Rien.
Chazeron tourna autour
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