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La chambre maudite

La chambre maudite

Titel: La chambre maudite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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glisser dans une torpeur réparatrice. Son estomac criait famine, mais il avait l’habitude de ne pas l’écouter. La nuit serait longue. Il laissa tous ses sens en alerte, comme lorsqu’il dormait en quelque auberge mal famée ou au cœur des forêts, sommeillant d’un œil et d’une oreille, sachant bien que le moindre bruit l’éveillerait.
    De fait, ce fut le sentiment d’une présence davantage que le léger grincement qui le tira de son assoupissement. Il entrouvrit les paupières mais ne bougea pas.
    Entièrement couverte d’un mantel, la silhouette le frôla pour s’avancer vers sa victime. Là, elle extirpa un flacon de sa manche et humecta son doigt. Un instant, un réflexe lui commanda d’arrêter le geste, mais Philippus s’en empêcha. Si le poison existait, le remède aussi, il en était persuadé. Il retint son souffle tandis que la visiteuse glissait son doigt sur les lèvres de François qui poussa un léger grognement. Puis elle se détourna de lui lentement, et Philippus rabattit sur ses yeux ses paupières curieuses, pour ne garder entre ses cils baissés qu’un fragment de lumière ; suffisant toutefois pour admirer les contours parfaits du visage qui le scrutait dans la lueur blafarde.
    Son cœur bondit malgré lui dans sa poitrine. Cette femme était là face à lui, immobile, détaillant son abandon simulé avec un sourire de tendresse au coin des lèvres. Il se demanda un instant si elle l’avait examiné de même la veille. C’était là sans doute ce qui l’avait à demi éveillé. Philippus frémit à l’idée qu’elle aurait pu l’empoisonner aussi. Pourquoi ne l’avait-elle pas fait, alors qu’il gênait visiblement ses manigances ?
    Lorsqu’elle s’approcha de lui, Philippus ferma les yeux complètement de peur qu’elle ne s’aperçoive de son subterfuge. Son sang battait à tout rompre, mais il n’aurait su dire si c’était par crainte ou par trouble, tant l’apparition dégageait une odeur musquée, presque animale et cependant étonnamment obsédante et agréable. Il attendit. La bouche finement ourlée se posa sur ses lèvres avec une douceur infinie et se retira aussitôt, le laissant presque frustré. Puis elle s’éloigna de lui sans qu’il perçoive seulement le bruit de ses pas. Alors de nouveau il entrouvrit les paupières et retint un cri de joie. A l’inverse de nombreux mécanismes, celui-ci n’était pas actionné depuis la muraille mais de l’intérieur du foyer. Il vit distinctement la pierre couverte de suie s’enfoncer dans le vide sur la gauche de l’âtre tandis que, légère et fine, la mystérieuse apparition frôlait les flammes avant de disparaître. Philippus attendit que le mécanisme soit revenu à sa place avant de bouger.
    Il se demanda un instant si l’inconnue ne lui avait pas offert le baiser de la mort tant il se sentait faible, mais il chassa cette idée. La vérité était autre et dardait son évidence au mitan de son calçon. Philippus était bel et bien troublé, comme jamais il ne l’avait été. Il en fut honteux soudain et se força à retrouver un état décent. Fallait-il qu’il soit pervers pour éprouver pareille attirance ? Tandis qu’il se levait pour s’approcher de François dont le visage grimaçait déjà sous l’effet du poison, il ne put s’empêcher de se demander si ce dernier n’avait pas raison finalement.
    Cette fille avait la beauté et le parfum interdit du diable. Se pouvait-il qu’elle en fût le châtiment ?
    Isabeau sortit de la boutique le cœur lourd. La fin de la journée avait été morose, même si ses compagnes avaient développé des trésors d’imagination pour la distraire de son tourment.
    Elle se sentait fourbue ; fourbue et brisée. Pour ajouter encore à sa faiblesse, la neige tombait toujours sur la cité et l’on devait lever haut les chevilles pour avancer dans la tourbe qui encombrait les ruelles, malmenée par le pas et les excréments des chevaux, des cochons et des quelques bœufs qui tiraient de lourdes charrettes.
    Isabeau retroussa ses jupons et s’avança dans la rue de la Lingerie. Comme elle longeait le cimetière des Saints-Innocents pour rattraper le pont Nostre-Dame et s’en revenir vers la cathédrale, elle dut se garer contre le mur d’enceinte afin de laisser passer un équipage richement paré. Il emplissait à lui seul l’étroitesse de la ruelle et Isabeau le maudit. L’eau projetée avait empli ses souliers et achevé de la tremper.

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