La chevauchée vers l'empire
l’achèterait avant ce soir et m’en
donnerait un bon prix ?
— Je fais apporter le thé, dit Abbud comme s’il n’avait
pas entendu la question.
Oubliées, les mises en garde qui avaient résonné dans sa
tête au début de la rencontre. « Je dois absolument vendre cette pierre »…
Qu’Allah lui envoie beaucoup d’insensés comme celui-là et Abbud pourrait
prendre sa retraite dans un palais rafraîchi par une légère brise.
Lorsque son jeune serviteur apporta le thé dans un pot en
argent, le joaillier remarqua le coup d’œil que le client lança vers le soleil
pour en estimer la position. Sa naïveté était grisante.
— Tu es dans le besoin et je ne voudrais pas qu’on
puisse m’accuser d’en avoir profité, tu comprends ? Ma réputation est
essentielle.
— Je comprends, répondit Djalal al-Din.
Le thé était excellent et il but le breuvage chaud en se
demandant quoi faire. Le vieux bijoutier se pencha en avant et lui tapota le
bras comme s’ils étaient amis.
— Mon beau-frère me dit que ton père est malade. Est-ce
que je peux rester insensible au sort d’un bon fils ? Certainement pas. Je
vais te faire une offre pour la pierre, au moins de quoi payer le médecin. Si
je garde le rubis, je trouverai peut-être un acheteur dans quelques années. Mon
métier ne consiste pas seulement à faire un rapide profit. Je dois aussi penser
à mon âme.
Abbud poussa un long soupir et crut qu’il en avait peut-être
trop fait, mais le visage du jeune homme s’éclaira.
— Tu es un homme bon, déclara-t-il, visiblement soulagé.
— Ne serons-nous pas tous jugés ? dit le marchand
d’un ton pieux. Mon commerce n’a pas été florissant ces derniers temps, avec
toutes ces rumeurs de guerre.
Il marqua une pause, nota que les traits du client s’étaient
tendus.
— As-tu perdu un être cher ? Allah donne et
reprend. Nous ne pouvons qu’endurer notre lot.
— Non, non, répondit Djalal al-Din. J’ai simplement
entendu dire que de grandes batailles se sont déroulées à l’est.
— En effet. Les temps sont difficiles.
Le pressentiment revint en force et Abbud envisagea de
nouveau de congédier son client. Mais le rubis qui étincelait sur la table
attirait irrésistiblement son regard.
— Je te donnerai quatre pièces d’or. Ce n’est pas ce
que vaut ta pierre, ni même la moitié, mais cet argent paiera le médecin. Je ne
peux t’offrir davantage.
Le joaillier se prépara au marchandage mais, à son grand
étonnement, le client se leva en disant :
— Très bien. Merci de ta générosité.
Abbud masqua sa confusion en se levant lui aussi, serra la
main que le jeune homme lui tendait. Était-ce possible ? Le rubis valait
quarante fois ce qu’il en avait proposé.
Il cacha comme il put sa jubilation en remettant au client
les quatre pièces promises. Le fourreau du sabre brillait doucement dans la
pénombre et le marchand se dit qu’il devait au moins une faveur à l’imbécile
qui le portait.
— Je vais te donner un morceau de tissu pour envelopper
ton arme. Il y a des voleurs dans le souk, cela me peine de devoir le
reconnaître. Ils ont peut-être déjà remarqué ton arrivée. Si tu as des amis, laisse-moi
envoyer quelqu’un les chercher pour qu’ils t’escortent jusqu’à ton logement.
Djalal al-Din parut indécis.
— C’est très aimable à toi.
— J’ai des fils, moi aussi. Je prierai pour que ton
père guérisse rapidement.
Le soleil était presque couché quand le jeune serviteur d’Abbud
revint avec les trois hommes qu’il avait trouvés dans la maison du beau-frère. Ils
étaient aussi hautains et étranges que l’inconnu au rubis et Abbud se demanda s’il
ne devrait pas faire surveiller la maison. Ils avaient peut-être d’autres
pierres à vendre et il ne voulait pas qu’ils s’adressent à un concurrent, qui
plumerait de tels innocents. De plus, il serait bon d’être prévenu s’il devait
y avoir des ennuis, or quelque chose chez ces quatre jeunes gens lui soufflait
que les ennuis n’étaient pas loin.
Djalal al-Din était content de lui en retraversant la foule
avec ses frères. La nuit tombait, le docteur devait être en route. Il revenait
auprès de son père avec de l’or dans sa bourse. C’était un sentiment exaltant
et il ne remarqua pas tout de suite la nervosité de ses frères. Ils marchaient
d’un pas vif de chaque côté de lui avec une expression sombre qui avait suffi à
faire
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