La chevauchée vers l'empire
détendit.
— Parfait, dit-il. Suivez mes instructions et tout ira
bien, inch’ Allah.
Il quitta le sombre taudis pour retrouver le soleil, laissant
les quatre fils avec leur père.
— Nous n’avons plus d’or, commenta le frère cadet. Avec
quoi acheter les herbes et le charbon de bois ?
Djalal al-Din n’avait aucune envie de retourner au souk, même
s’il y comptait désormais un ami. Il lui restait une douzaine de rubis plus
petits, mais au rythme où il puisait dans cette réserve, elle ne durerait pas
longtemps. Toutefois, ses frères et lui étaient en sécurité. Dans un mois, les
Mongols seraient partis, son père aurait guéri et ses fils pourraient enfin le
ramener dans l’Est. S’il parvenait à gagner une ville restée loyale, il ferait
connaître l’enfer au khan mongol. Loin au sud, de nombreux musulmans étaient
prêts à se ranger sous sa bannière pour combattre les infidèles. Il lui
suffisait de les appeler. Djalal al-Din pria en silence tandis que son père
suffoquait dans les vapeurs du remède, la peau du cou rougie par la chaleur. Il
avait essuyé maints affronts mais il était encore temps de les laver.
Au coucher du soleil, deux hommes étaient venus l’un après l’autre
boire le thé dans la boutique rouge d’Abbud. Il avait pour habitude de ne pas s’attarder
dans le souk et de se rendre à la mosquée pour la prière qui conclurait sa
journée. Alors que les derniers rayons du soleil incendiaient les allées du
marché, il entendit l’appel du muezzin résonner au-dessus de la ville. Le
joaillier renvoya le second de ses visiteurs en lui glissant quelques pièces en
paiement des informations qu’il avait apportées. Puis, perdu dans ses pensées, il
se lava les mains dans une cuvette afin de se préparer à la prière. Ce rituel
lui laissait l’esprit libre pour réfléchir à ce qu’il venait d’apprendre. Les
Mongols posaient des questions. Abbud se félicita d’avoir envoyé un jeune
garçon surveiller la maison de son dernier client et se demanda combien valait
l’information qu’il détenait maintenant.
Autour de lui, le marché fermait. Les marchandises des
simples éventaires étaient chargées sur des ânes et des chameaux tandis que
celles des boutiques disparaissaient dans des trappes creusées dans le sol dont
les portes resteraient fermées et barrées jusqu’au lendemain. En rangeant le
dernier rouleau d’étoffe, le marchand adressa un signe au garde armé qu’il
avait engagé et chargé de dormir sur la trappe. L’homme était bien payé en
contrepartie de l’obligation de faire sa prière seul. Abbud partit en le
laissant étendre son tapis et se laver symboliquement les mains en les frottant
l’une contre l’autre.
Le regain d’activité accompagnant le coucher du soleil
surprit les Mongols qui déambulaient dans la ville. Tandis qu’on repliait les
éventaires et qu’on fermait les boutiques, ils formaient de petits groupes à
présent nettement visibles et regardaient autour d’eux comme des enfants
fascinés. Abbud évita d’attirer leur attention en se dirigeant vers la mosquée.
Sa femme pénétrait probablement au même moment dans l’édifice par une autre
entrée et il ne pourrait la voir qu’après la prière. Elle n’approuverait sans
doute pas ce qu’il envisageait. Les femmes ne comprenaient pas les affaires des
hommes, il le savait. Elles ne voyaient que les risques, pas les profits qui en
découlaient. Comme pour se le rappeler, il toucha en marchant la bosse du rubis
contre sa cuisse, preuve de la bénédiction d’Allah sur sa maison.
Du coin de l’œil, Abbud repéra un Bédouin jeune et grand qui
se tenait avec les Mongols. La foule se hâtant vers la mosquée se comportait
comme s’ils n’étaient pas là, dans un mélange de mépris et de peur. Abbud ne
put s’empêcher de jeter un bref regard à l’homme au passage et remarqua les
broderies caractéristiques de sa tunique, qui le désignaient comme un nomade du
désert aussi sûrement qu’une marque sur sa poitrine.
L’étranger surprit le regard furtif d’Abbud et fit un pas
pour lui barrer le passage. Le joaillier fut contraint de s’arrêter pour ne pas
perdre toute dignité en le contournant.
— Que veux-tu, mon fils ? grogna-t-il d’un ton
irrité.
Il n’avait pas eu le temps de songer à la meilleure façon d’utiliser
l’information qu’il avait achetée. Les plus grands profits ne venaient jamais d’une
décision
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