La chevauchée vers l'empire
lourdes lances quitter les coupelles pour n’être plus soutenues que par des
épaules et des bras que l’entraînement avait dotés de muscles d’acier. Lorsque
l’allure passa au petit galop, Djötchi fit signe à un porte-enseigne de brandir
le pavillon ordonnant aux lignes de s’étirer encore. Ses hommes s’étaient
longuement préparés à ce moment, tirant des flèches au galop jusqu’à s’entailler
les doigts, enfonçant la pointe de leur lance dans des cibles en paille une
centaine de fois par jour.
L’armée ennemie tira une volée de traits sur l’ordre aboyé
par un officier. Trop tôt, pensa Djötchi. La moitié des flèches se planta dans
le sol devant ses guerriers, le reste ricocha sur les boucliers et les casques.
Il passa au grand galop, laissa le rythme de sa monture régler ses mouvements
quand il se dressa sur ses étriers et encocha une flèche.
Tout le long des lignes mongoles, les guerriers l’imitèrent.
Les lanciers commencèrent à abaisser leurs armes, estimant le moment où ils
frapperaient et tueraient.
Djötchi lâcha sa flèche et six cents archers firent de même.
Au moment où il en prenait une autre dans son carquois, les lanciers
talonnèrent leurs montures et fondirent ensemble sur l’ennemi, tel un seul
énorme pieu. Ils frappèrent à pleine vitesse, transperçant ou renversant tout
ce qu’ils touchaient, creusant une brèche semblable à une bouche sanglante. Ceux
qui se trouvaient derrière ne pouvaient s’arrêter et Djötchi se retrouva au
cœur des lignes ennemies.
Devant lui, ses lanciers jetaient leurs armes brisées et
dégainaient leurs sabres. Derrière, les archers lâchèrent une deuxième volée
sur les côtés, élargissant la brèche. C’était la meilleure tactique que Djötchi
avait trouvée et il exulta en constatant les pertes qu’il avait infligées en
quelques instants. Ses lignes arrière se déployèrent pour attaquer les ailes
ennemies, manœuvre qui était presque l’inverse de celle des cornes prisée par
son père. Bousculée, la tête de la colonne ennemie se replia en désordre.
Djötchi dégaina son sabre lorsque sa monture s’arrêta, incapable
d’aller plus loin dans les rangs des Khwarezmiens. Il estima que le moment
était parfait pour l’attaque par le côté et leva les yeux, cherchant son frère
du regard. Il ne put accorder qu’un bref coup d’œil au flanc gauche de la
colline car il dut parer une pointe de lance qui menaçait de le transpercer. Lorsqu’il
regarda de nouveau, il constata avec effarement que le tuman de Djaghataï était
toujours au même endroit sur la pente.
Djötchi distinguait clairement la silhouette de son frère, assis
sur sa selle, les mains tranquillement posées sur le pommeau. Ils n’étaient pas
convenus d’un signal pour déclencher l’attaque par le flanc, mais Djötchi souffla
quand même dans son cor une longue note qui résonna au-dessus de la tête de ses
hommes. Eux aussi s’étaient rendu compte que l’autre tuman ne bougeait pas et
certains adressaient des gestes furieux aux guerriers de Djaghataï pour les
presser de se lancer dans la bataille avant qu’elle ne bascule.
Avec un juron, Djötchi lâcha son cor et sentit monter en lui
une fureur telle que les deux coups qu’il porta ensuite parurent ne demander
aucun effort, toute sa force se concentrant dans son bras droit. Il aurait
voulu qu’il soit Djaghataï, cet homme qu’il toucha au cou, juste au-dessus de
la cuirasse, et qui s’effondra sous les sabots des chevaux.
Djötchi se dressa de nouveau sur ses étriers, cette fois
pour chercher un moyen de dégager ses hommes de la mêlée. Il avait de bonnes
chances d’y parvenir alors que les premiers rangs de l’ennemi étaient encore
pris dans les cornes de ses meilleurs guerriers. Sans la trahison de Djaghataï,
ils auraient peut-être réussi à s’extraire de la nasse mais, face à la passivité
de l’autre tuman, ses hommes, comme frappés de stupeur, tombaient en grand
nombre. L’ennemi, qui ne comprenait pas pourquoi l’autre général mongol restait
sans rien faire, s’empressa cependant d’en tirer parti.
La cavalerie des Khwarezmiens élargit ses lignes, les
chevaux lourds montèrent plus haut sur la pente puis la redescendirent pour
charger les guerriers de Djötchi en évitant de passer trop près de ceux de
Djaghataï, qui attendait que son frère se fasse massacrer. Entre deux coups de
sabre, Djötchi vit des officiers protester contre
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