La Chute Des Géants: Le Siècle
tonne de charbon extraite ne l’obligeait pas, selon lui, à prendre
parti pour la direction contre les mineurs. « La grève, c’est votre
affaire, pas la mienne, dit-il, offensé.
— Des affaires, c’est vous
qui en faites grâce à la mine. »
Fitz était outré. « Je n’ai
plus rien à vous dire. » Il se détourna.
« Je vous demande pardon,
monsieur le comte, insista Jones, confus, veuillez m’excuser – mes propos
ont dépassé ma pensée, mais cette histoire commence à devenir lassante. »
Fitz ne pouvait guère refuser ses
excuses. Toujours irrité, il se tourna pourtant vers Jones et lui dit avec
courtoisie : « Très bien, très bien, mais je continuerai à nourrir
les enfants.
— Voyez-vous, monsieur le
comte, le mineur peut se montrer buté et supporter quantité de privations par
orgueil, mais ce qui le fait plier, en fin de compte, c’est de voir ses enfants
souffrir de la faim.
— De toute façon, la mine
continue à tourner.
— Grâce à des étrangers, des
ouvriers de troisième catégorie. La plupart d’entre eux ne sont pas qualifiés
et leur rendement est médiocre. Nous les occupons essentiellement pour
entretenir les galeries et soigner les chevaux. Nous ne remontons pas beaucoup
de charbon.
— Je ne comprends toujours
pas pourquoi vous avez expulsé ces malheureuses veuves de leurs maisons. Elles
n’étaient que huit et, après tout, c’est dans cette satanée mine que leurs
maris ont péri.
— Cela aurait créé un
dangereux précédent. Les maisons sont réservées aux mineurs. Si nous dérogeons
à ce principe, nous n’aurons plus grand-chose à envier à de vulgaires loueurs
de taudis. »
Peut-être auriez-vous dû bâtir
autre chose que des taudis, se dit Fitz, mais il retint sa langue. Il ne
souhaitait pas prolonger la conversation avec ce tyranneau pontifiant. Il
consulta sa montre : midi et demi, l’heure d’un verre de xérès. « Inutile
d’insister, Jones. Je ne livrerai pas bataille à votre place. Au revoir. »
Et il gagna la maison d’un pas vif.
Jones était le cadet de ses
soucis. Qu’allait-il faire d’Ethel ? Il fallait avant tout préserver Bea.
Outre le danger que courrait leur enfant à naître, il avait l’impression que
cette grossesse pourrait donner un nouveau départ à leur couple. Un enfant les
rapprocherait peut-être, peut-être ressusciterait-il la chaleur et l’intimité
des premiers temps de leur vie conjugale. Mais cet espoir serait brisé si Bea
apprenait qu’il avait batifolé avec l’intendante. Sa colère serait redoutable.
Il savoura la fraîcheur du
vestibule, au sol dallé de pierre et au plafond aux poutres apparentes. C’était
son père qui avait choisi ce décor féodal. La Bible exceptée, il n’avait lu
qu’un seul livre de toute sa vie : L ’Histoire du déclin et de la chute
de l’Empire romain, de Gibbon. Il était persuadé que l’Empire britannique,
quoique plus grand que son prédécesseur, connaîtrait le même sort que lui si sa
noblesse ne luttait pas pour préserver ses institutions, et plus
particulièrement la Royal Navy, l’Église anglicane et le parti conservateur. Il
avait raison, Fitz n’en doutait pas une seconde.
Un verre de xérès, c’était
parfait avant le déjeuner. Cet alcool était revigorant et ouvrait l’appétit.
Impatient à l’idée de ce plaisir, il entra dans le salon, et fut saisi d’horreur
en découvrant Ethel en grande conversation avec Bea. Il se figea sur le seuil,
consterné. Que disait-elle ? Arrivait-il trop tard ? « Que se
passe-t-il ici ? » demanda-t-il sèchement.
Bea lui décocha un regard surpris
et répondit d’un ton glacial : « Je parle de taies d’oreiller avec
mon intendante. Vous attendiez-vous à quelque chose de plus intéressant ?»
Elle ne s’était toujours pas défaite de l’habitude de rouler les r .
L’espace d’un instant, il resta
bouche bée. Il se rendit compte qu’il avait en face de lui son épouse et sa
maîtresse. Le souvenir de l’intimité qu’il avait partagée avec chacune d’elles
le troubla. « Je ne sais pas », marmonna-t-il, et il s’assit devant
un secrétaire, leur tournant le dos.
Elles poursuivirent leur
conversation. Il était bien question de taies d’oreiller : combien de
temps pouvait-on les utiliser, fallait-il les faire ravauder pour qu’elles
servent au personnel, valait-il mieux les acheter brodées ou bien faire
exécuter les broderies par les lingères
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