La Chute Des Géants: Le Siècle
une proche de
l’épouse du kaiser. « Plusieurs autres dames en ont fait autant.
— Vous ne devriez pas
importuner ainsi la famille impériale, lui reprocha Walter. Ils ont assez de
soucis comme cela. »
Elle renifla. « Nous ne
pouvons pas abandonner nos terres à l’armée russe ! »
Walter compatit. L’idée de voir
des moujiks primitifs et des boyards armés de knouts déferler sur les pâtures
et les vergers bien tenus du domaine des von Ulrich lui faisait horreur, à lui
aussi. Ces fermiers allemands si durs à la tâche, aux femmes robustes, aux
enfants toujours nets et aux vaches grasses, méritaient d’être protégés. N’était-ce
pas la raison même de cette guerre ? Et, un jour, il comptait bien emmener
Maud à Zumvald pour faire découvrir sa propriété à son épouse. « Ludendorff
arrêtera les Russes, mère », déclara-t-il. Il espérait ne pas se tromper.
Avant qu’elle ait pu répondre, le
sifflet du train retentit, Walter l’embrassa et monta dans son wagon.
Il se sentait un peu responsable
des revers allemands sur le front oriental. Il faisait en effet partie des
spécialistes du renseignement qui avaient jugé les Russes incapables d’attaquer
aussi peu de temps après la mobilisation. La honte l’envahissait chaque fois qu’il
y pensait. Mais il estimait ne pas avoir eu entièrement tort et soupçonnait les
Russes d’envoyer au combat des troupes mal préparées et mal approvisionnées.
Cette impression se confirma
lorsqu’il arriva en Prusse avec Ludendorff et son état-major le soir de ce
dimanche. On leur apprit que la 1 ere armée russe avait
interrompu sa progression. Elle ne se trouvait qu’à quelques kilomètres à l’intérieur
du territoire allemand et, en toute logique, elle aurait dû presser le
mouvement. Qu’attendaient-ils ? Ils devaient être à court de nourriture,
devina Walter.
Mais la 2 e armée, plus
au sud, continuait d’avancer, et la priorité de Ludendorff était de l’arrêter.
Le lendemain matin, le lundi 24
août, Walter communiqua au général deux rapports d’une valeur inestimable. Il s’agissait
de télégrammes russes interceptés et traduits par le renseignement allemand.
Le premier, envoyé à cinq heures
et demie du matin par le général Rennenkampf, ordonnait à la 1 ere armée
de se remettre en marche. Enfin, Rennenkampf s’était décidé – mais au lieu
de se diriger vers le sud pour opérer sa jonction avec la 2 e armée
et refermer ainsi la tenaille, il partit inexplicablement vers l’ouest, une
trajectoire qui ne menaçait en rien les forces allemandes.
Le second message avait été
envoyé une demi-heure plus tard par le général Samsonov, commandant de la 2 e armée
russe. Il ordonnait à ses 13 e et 15 e corps de
poursuivre le 20 e corps allemand, qu’il croyait en pleine
déroute.
« C’est stupéfiant ! s’exclama
Ludendorff. Comment avons-nous obtenu ces informations ?» Il semblait
soupçonneux, comme s’il croyait Walter capable de le tromper. Sans doute se
méfiait-il d’un représentant de la vieille aristocratie militaire, devina l’intéressé.
« Nous connaissons leurs codes ? demanda le général.
— Ils n’en utilisent pas,
lui dit Walter.
— Ils transmettent leurs
ordres en clair ? Au nom du ciel, pourquoi ?
— Les soldats russes ne sont
pas assez instruits pour comprendre un message chiffré, expliqua Walter. D’après
les renseignements que nous avons rassemblés avant la déclaration de guerre, il
y a trop d’analphabètes dans l’armée russe pour qu’elle dispose d’opérateurs
radio en nombre suffisant.
— Pourquoi n’utilisent-ils
pas des téléphones de campagne, alors ? Cela éviterait qu’on puisse
intercepter leurs communications.
— Je pense qu’ils n’ont plus
assez de câbles téléphoniques. »
En plus d’un menton proéminent et
d’une bouche au pli amer, Ludendorff avait toujours l’air de froncer les
sourcils d’un air agressif. « Ce n’est pas une ruse, au moins ? »
Walter secoua la tête. « Ce
serait inconcevable, mon général. Les Russes sont à peine capables de mettre en
place des communications normales. Imaginer qu’ils envoient de faux télégrammes
pour tromper l’ennemi… autant croire qu’ils vont aller sur la Lune. »
Ludendorff se pencha sur la carte
étalée devant lui, révélant à Walter son crâne dégarni. C’était un travailleur
infatigable, mais il était souvent en proie à de
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