La Chute Des Géants: Le Siècle
êtes
priés de remplir un de ces formulaires pour pouvoir être payés à votre
retour. »
La réaction des chauffeurs ne se
fit pas attendre. Ils allaient être payés ! Cela emporta leur décision.
« Quand cinq cents taxis
seront partis, je donnerai des instructions pour que cinq cents autres les
suivent. Vive Paris ! Vive la France !»
Les chauffeurs applaudirent à
tout rompre. Puis ils se ruèrent sur Dupuys pour lui arracher ses formulaires.
Ravi, Fitz l’aida à les distribuer.
Bientôt, les petites voitures
rouges se mirent en route, manœuvrant devant la majestueuse façade puis
franchissant le pont sous le soleil, klaxonnant avec enthousiasme et formant
une longue caravane écarlate, comme un afflux de sang neuf pour les troupes qui
se trouvaient en première ligne.
5.
Il fallut trois jours aux Anglais
pour parcourir quarante kilomètres. Fitz était mortifié. Le plus souvent, ils
n’avaient rencontré aucune résistance : s’ils étaient allés plus vite, ils
auraient pu porter un coup décisif.
Pourtant, le mercredi 9 septembre
au matin, il trouva l’état-major de Gallieni d’excellente humeur. Von Kluck
battait en retraite. « Les Allemands ont peur ! » exulta le Colonel Dupuys.
Fitz ne croyait pas à cette
explication et la carte en offrait une autre, bien plus plausible. En dépit de
leur lenteur et de leur timidité, les Anglais s’étaient engouffrés dans une
brèche entre les 1 ère et 2 e armées allemandes, ouverte
par von Kluck quand il avait replié ses troupes vers l’ouest pour faire face à l’attaque
venant de Paris. « Nous avons trouvé leur point faible et sommes en train
d’y enfoncer un coin », déclara Fitz, un frémissement d’espoir dans la
voix.
Il s’exhorta au calme. Jusqu’ici,
les Allemands avaient remporté toutes les batailles. D’un autre côté, leurs
lignes de ravitaillement étaient terriblement étirées, leurs hommes épuisés et
leur supériorité numérique affaiblie par la nécessité d’envoyer des renforts en
Prusse-Orientale. En revanche, les Français de ce secteur avaient reçu des
troupes fraîches en quantité et, comme ils se battaient chez eux, leur
ravitaillement ne posait aucun problème.
La confiance de Fitz vacilla
lorsque les Anglais firent halte sept ou huit kilomètres au nord de la Marne.
Pourquoi Sir John s’arrêtait-il ?
Mais les Allemands ne semblaient
pas remarquer la pusillanimité des Anglais, car ils poursuivirent leur retraite
et l’espoir grandit à nouveau au lycée Victor-Duruy.
Alors que les ombres des arbres
s’allongeaient au-dehors et qu’arrivaient les derniers rapports de la journée,
un sentiment d’allégresse contenue sembla s’emparer de l’état-major de
Gallieni. À la fin du jour, les Allemands étaient en déroute.
Fitz avait peine à le croire. Il
était passé du désespoir à l’espoir en moins d’une semaine ! Il s’assit
sur une chaise trop petite pour lui et observa la carte murale. Sept jours
auparavant, la ligne de l’armée allemande faisait l’effet d’un tremplin d’où
elle se préparait à lancer son ultime assaut ; désormais, on aurait dit
qu’un mur l’avait obligée à faire demi-tour.
Lorsque le soleil sombra derrière
la tour Eiffel, les Alliés n’avaient pas à proprement parler remporté une
victoire mais, pour la première fois depuis des semaines, l’avance allemande
s’était interrompue.
Dupuys étreignit Fitz puis
l’embrassa sur les deux joues et, pour une fois, Fitz ne s’en offusqua pas.
« Nous les avons
arrêtés », dit Gallieni et, à sa grande surprise, Fitz vit perler des
larmes derrière le pince-nez du vieux général. « Nous les avons
arrêtés. »
6.
Peu après la bataille de la Marne,
les deux camps se mirent à creuser des tranchées.
La chaleur de septembre fit place
à la pluie froide et déprimante d’octobre. L’impasse qui prévalait déjà à l’est
gagna irrésistiblement l’ouest, telle une insidieuse paralysie affectant le
corps d’un mourant.
Cet automne, la bataille décisive
eut pour enjeu la ville belge d’Ypres, à l’extrémité occidentale du front, à
trente kilomètres de la mer. Les Allemands lancèrent une offensive féroce pour
contourner le flanc anglais. Les combats firent rage pendant quatre semaines.
Contrairement aux batailles qui l’avaient précédée, celle-ci était
statique : les deux camps s’étaient enfouis dans des tranchées pour se
protéger des tirs
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