La Chute Des Géants: Le Siècle
les Églises établies n’avait laissé chez elle qu’une légère
aversion pour les statues, l’encens et le latin. À Londres, s’il lui arrivait d’aller
parfois à la chapelle évangélique du Calvaire, le dimanche matin, c’était
surtout parce que le pasteur était un socialiste convaincu qui mettait ses
locaux à la disposition du dispensaire de Maud et des réunions du parti
travailliste.
Il n’y avait pas d’orgue au Rec,
évidemment, ce qui avait évité aux puritains de protester contre l’emploi d’instruments
de musique au cours de la commémoration. En revanche – Ethel le savait par
Da – il y avait eu d’âpres discussions concernant le chef de chœur, une
fonction bien plus importante dans cette ville que celle de prédicateur. Pour
finir, il avait été décidé que le chef attitré du chœur des hommes d’Aberowen,
qui n’appartenait à aucune confession particulière, serait chargé de l’accompagnement
musical, et c’est ainsi que les choristes prirent place au premier rang.
La cérémonie débuta par un
extrait du Messie de Haendel, « He shall Feed his Flock like a
Shepherd », que tout le monde connaissait. Malgré sa difficulté, l’assemblée
l’exécuta à la perfection. En entendant des centaines de voix de ténor s’élever
dans le parc en chantant « And gather the lambs with his arm », Ethel
se rendit compte à quel point cette musique exaltante lui manquait à Londres.
Le prêtre catholique récita en
latin le psaume 129, « De Profundis ». Il eut beau déclamer à pleins
poumons, les derniers rangs l’entendirent à peine. Le pasteur anglican lut la « Collecte
pour l’enterrement des défunts », tirée du Livre des prières courantes. Dilys Jones, un jeune méthodiste, chanta, lui, « Amour divin, amour qui
surpasse toutes les autres », cantique de Charles Wesley. Enfin, le
pasteur baptiste lut la première épître aux Corinthiens, chapitre 15, du verset
20 jusqu’à la fin.
Il fallait un prédicateur pour
représenter les groupes indépendants, et le choix s’était porté sur Da.
Il commença par un unique verset
de l’épître aux Romains, chapitre 8 : « Si l’esprit de Celui qui a
ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité
Jésus-Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par
son Esprit qui habite en vous. » Da avait une voix puissante qui portait d’un
bout à l’autre du parc.
Ethel était fière de lui. L’honneur
consenti à son père le désignait comme l’un des hommes les plus importants de
la ville, un chef spirituel et politique. De plus, il était très élégant :
Mam lui avait acheté une nouvelle cravate noire, en soie, au grand magasin Gwyn
Evans de Merthyr.
Il parla de la résurrection et de
l’Au-delà, et Ethel relâcha son attention : elle avait déjà entendu tout
cela. Elle était prête à croire à une vie après la mort, mais il lui arrivait d’en
douter. De toute façon, elle le découvrirait bien assez tôt.
Un remous dans la foule l’alerta :
Da s’était peut-être éloigné de ses thèmes habituels. Elle l’entendit dire :
« Lorsque notre pays a décidé de faire la guerre, j’espère que chaque
membre du Parlement a interrogé sa conscience, en toute sincérité et dans la
prière, afin que le Seigneur le guide. Mais qui a élu ces hommes au Parlement ? »
Il va se lancer dans une diatribe
politique, pensa Ethel. Bravo, Da. Ça rabaissera son caquet au pasteur.
« En principe, tous les
hommes du pays sont tenus de faire leur service militaire. En revanche, tous ne
sont pas autorisés à prendre part à la décision de faire la guerre. »
Des cris d’approbation fusèrent
de la foule.
« Les lois électorales
excluent du scrutin plus de la moitié des hommes de ce pays !
— Et toutes les femmes !
renchérit Ethel d’une voix forte.
— Tais-toi ! chuchota
Mam. C’est ton Da qui prêche, pas toi.
— Plus de deux cents hommes
d’Aberowen ont été tués là-bas, sur les rives de la Somme, le 1 er juillet. D’après ce qu’on m’a dit, le nombre des victimes britanniques
dépasserait aujourd’hui cinquante mille ! »
La foule frémit d’horreur. Peu de
gens connaissaient ce chiffre. Da le tenait d’Ethel, laquelle le tenait de
Maud, elle-même informée par des amis du ministère de la Guerre.
« Cinquante mille victimes,
dont vingt mille morts, poursuivit Da. Et la bataille continue.
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