La Chute Des Géants: Le Siècle
des
États-Unis qui lui posait cette question. Elle se devait de lui répondre avec
précision. Or il se trouvait qu’elle était justement en possession d’une
information capitale. « Il y a dix jours, le cabinet a débattu d’un
rapport de Lord Lansdowne, un conservateur qui a été un moment notre
ministre des Affaires étrangères. Il y affirmait que nous ne pouvions pas
gagner la guerre. »
Le visage de Gus s’éclaira. « Vraiment ?
Je l’ignorais.
— Évidemment, c’était un
rapport secret. Mais il y a eu des fuites, et Northcliffe s’en est pris
vertement à ce qu’il appelle des propos défaitistes en faveur d’une paix
négociée.
— Et comment a été accueilli
le rapport de Lansdowne ? s’enquit Gus avec impatience.
— Je dirais que quatre
personnes ont tendance à épouser ses vues : Sir Edward Grey, le
ministre des Affaires étrangères, McKenna, le chancelier de l’Échiquier,
Runciman, le ministre du Commerce, et le Premier ministre en personne.
— C’est une faction de
poids ! s’écria Gus d’un ton plein d’espoir.
— Surtout depuis le départ
de cet agressif de Winston Churchill. Il ne s’est pas remis de la
catastrophe des Dardanelles. Cette expédition était son projet chéri.
— Qui, au sein du cabinet, a
pris position contre Lansdowne ?
— David Lloyd George ,
le secrétaire d’État à la Guerre, l’homme politique le plus populaire du pays.
Et aussi Lord Robert Cecil, le ministre du Blocus, Arthur Henderson,
le trésorier-payeur de l’Échiquier, qui est également chef du parti
travailliste, et Arthur Balfour, premier lord de l’Amirauté.
— J’ai lu le communiqué de
presse de Lloyd George : il annonce qu’il se battra jusqu’au bout.
— Il a le soutien de la
majorité de la population, malheureusement. Il est vrai que les gens n’ont
guère l’occasion d’entendre un autre son de cloche. Les rares à prendre
position contre la guerre, comme le philosophe Bertrand Russell, font
l’objet d’un harcèlement constant de la part du gouvernement.
— Qu’a décidé le
cabinet ?
— Rien. Ce n’est pas rare
avec Asquith. Beaucoup se plaignent de son indécision.
— C’est agaçant. Il me
semble cependant qu’une proposition de paix ne devrait pas tomber dans
l’oreille d’un sourd. »
Qu’il était réconfortant, songea
Maud, de converser avec un homme qui vous prenait véritablement au sérieux.
Même ceux qui lui parlaient intelligemment avaient tendance à se montrer un peu
condescendants. Walter avait été le seul homme, avant Gus, à lui parler d’égal
à égale.
À cet instant, Fitz entra dans la
pièce. Il était encore vêtu de son costume de ville noir et gris. De toute
évidence, il venait d’arriver de la gare. Il portait un bandeau sur l’œil et
s’appuyait sur une canne pour marcher. « Je suis vraiment désolé de vous
avoir fait faux bond, dit-il à la cantonade. J’ai dû passer la nuit en ville.
Londres est en effervescence à cause des derniers événements politiques.
— Quels événements ?
interrogea Gus. Nous n’avons pas encore lu la presse d’aujourd’hui.
— Hier, Lloyd George a
adressé une note à Asquith pour lui demander de modifier radicalement notre
conduite de la guerre. Il veut confier toutes les décisions à un conseil de
guerre tout-puissant, composé de trois ministres.
— Et Asquith
acceptera ? demanda Gus.
— Bien sûr que non ! Il
a répondu que si un tel organe devait exister, ce serait au Premier ministre
d’en assurer la présidence.
— Ce qui revient à enterrer
cette proposition, déclara Bing Westhampton depuis la banquette de fenêtre
où il était assis, les pieds en l’air. N’importe quel conseil présidé par
Asquith sera inévitablement aussi faible et aussi indécis que le
cabinet. » Il promena un regard contrit autour de lui. « Que les
ministres du gouvernement ici présents veuillent bien me pardonner !
— Il n’empêche que tu as
raison, admit Fitz. En réalité, cette note remet sérieusement en question
l’autorité d’Asquith.
D’autant plus que c’est
Max Aitken, l’ami de Lloyd George , qui a révélé l’affaire à la
presse. À présent, il ne peut plus y avoir de compromis. Ils se battront
jusqu’au bout, comme dirait Lloyd George . S’il n’obtient pas
satisfaction, il sera obligé de démissionner. S’il l’emporte, c’est Asquith qui
devra partir, et nous aurons à
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