La Chute Des Géants: Le Siècle
projet qui devrait vous plaire.
— Certainement. »
Chuck changea de sujet. « Mais
qu’est-ce qui t’amène ici, Gus ? À part l’envie d’expliquer les décisions
du président aux profanes que nous sommes ? »
Il leur parla de la grève. Il
exposa la situation d’un ton léger, comme s’il ne s’agissait que d’une
conversation de salon, mais en réalité, il était inquiet. Les Buffalo Métal Works
étaient indispensables à l’effort de guerre et il ne savait pas comment
convaincre les ouvriers de reprendre le travail. Wilson avait mis fin à une
grève nationale des chemins de fer peu avant sa réélection et semblait croire
que le règlement des conflits sociaux était un élément ordinaire de la vie
politique. Gus, quant à lui, trouvait que c’était une lourde responsabilité.
« Tu sais à qui appartient l’usine ? »
demanda Chuck.
Gus s’était renseigné. « À
Vialov.
— Et qui la dirige ?
— Non.
— Son gendre, Lev Pechkov.
— Ah ! fit Gus. Ça, je l’ignorais. »
3.
Lev était furieux. Avec cette
grève, le syndicat cherchait à profiter de son inexpérience, Lev en était sûr.
Brian Hall et les autres le croyaient faible. Il allait leur prouver le
contraire.
Il avait essayé de leur faire
entendre raison. « Mr V. a besoin de récupérer une partie de l’argent
qu’il a perdu, avait-il expliqué à Hall.
— Les hommes, eux, ont
besoin de récupérer ce qu’ils ont perdu à cause de la baisse des salaires,
avait répliqué Hall.
— Ce n’est pas la même
chose.
— Non, en effet. Vous êtes
riches et ils sont pauvres. C’est plus dur pour eux. »
Ce type avait réponse à tout, c’était
exaspérant.
Lev tenait absolument à rentrer
dans les bonnes grâces de son beau-père. Il n’était pas sans risque de s’attirer
durablement le déplaisir d’un homme comme Vialov. Le problème était que le seul
atout de Lev était son charme, et que Vialov y était imperméable.
Mais Vialov le soutenait dans
cette affaire. « Il faut parfois les laisser faire la grève, avait-il dit.
Inutile de céder. Il suffit de tenir bon. Ils deviennent plus conciliants quand
ils commencent à avoir faim. » Lev était cependant bien placé pour savoir
que Vialov pouvait changer d’avis du jour au lendemain.
Lev avait un plan pour hâter la
fin de la grève. Il allait se servir du pouvoir de la presse.
Il était membre du yacht-club de
Buffalo grâce à son beau-père qui l’avait fait coopter. Tous les hommes d’affaires
importants de la ville ou presque en étaient et, parmi eux, Peter Hoyle,
rédacteur en chef du Buffalo Advertiser. Un après-midi, Lev l’aborda au
club-house, en bas de Porter Avenue.
L ’Advertiser était un
journal conservateur qui désapprouvait le changement et accusait les étrangers,
les Noirs et les agitateurs socialistes de tous les maux. Hoyle, un homme à la
stature imposante, arborant une moustache noire, était un ami de Vialov. « Bonjour,
jeune Pechkov », dit-il. Il avait la voix forte et un peu rauque, comme s’il
avait l’habitude de hurler pour couvrir le vacarme des presses. « Il
paraît que le président a envoyé le fils de Cam Dewar régler votre problème de
grève.
— Oui, mais il ne s’est pas
encore manifesté.
— Je le connais. C’est un
naïf. Tu n’as pas grand-chose à craindre. »
Lev était du même avis. Il lui
avait soutiré un dollar à Petrograd en 1914 et, l’année dernière, il lui avait
piqué sa fiancée avec la même facilité.
« Je voulais vous parler de
la grève, dit-il en s’asseyant dans un fauteuil de cuir en face de Hoyle.
— L’ Advertiser a déjà
condamné les grévistes en les dénonçant comme des socialistes et des
révolutionnaires antiaméricains. Que pouvons-nous faire de plus ?
— Les accuser d’être des
agents de l’ennemi. Ils empêchent la production de véhicules dont nos gars
auront besoin en Europe – alors que les ouvriers, eux, échappent à la
conscription.
— C’est un point de vue. »
Hoyle fronça les sourcils. « Mais nous ne savons pas encore qui sera
concerné par la conscription.
— Les industries de guerre
en seront certainement exclues.
— C’est vrai.
— Et ils réclament une augmentation
de salaire. Beaucoup de gens accepteraient d’être moins payés en échange d’un
boulot qui leur évite l’armée. »
Hoyle sortit un carnet de sa
poche de veste et se mit à écrire.
« Accepter un
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