La Chute Des Géants: Le Siècle
de lui, la reine tenait un parapluie pour protéger son chapeau,
sa célèbre poitrine plus imposante que jamais.
« Lloyd ! Lloyd !
s’exclama Ethel. C’est le roi ! »
L’attelage passa à quelques
centimètres d’Ethel et Mildred.
Lloyd cria tout fort : « Bonjour,
roi ! »
Le roi l’entendit et sourit. « Bonjour,
jeune homme », dit-il. Et il s’éloigna.
7.
Grigori se trouvait dans le
wagon-restaurant du train blindé. L’homme assis en face de lui, de l’autre côté
de la table, était le président du conseil de guerre révolutionnaire,
commissaire du peuple chargé des Affaires navales et militaires. Autrement dit,
il commandait l’Armée rouge. Il s’appelait Lev Davidovitch Bronstein, mais
comme la plupart des dirigeants révolutionnaires, il s’était choisi un
pseudonyme et était connu sous le nom de Léon Trotski. Il avait fêté ses
trente-neuf ans quelques jours plus tôt, et tenait le sort de la Russie entre
ses mains.
La révolution avait un an et
Grigori était terriblement inquiet pour son avenir. Il avait vécu la prise du
palais d’Hiver comme un aboutissement. Ce n’était en fait que le début de la
lutte. Les gouvernements les plus puissants du monde étaient tous hostiles aux bolcheviks.
L’armistice qui venait d’être signé aujourd’hui allait leur permettre d’employer
toutes leurs forces à anéantir la révolution. Seule l’Armée rouge pourrait les
en empêcher.
Trotski n’était pas aimé des
soldats, qui lui reprochaient d’être un aristocrate et un Juif. Il était
impossible d’être les deux en Russie, mais les soldats ne brillaient pas par
leur logique. Sans appartenir à l’aristocratie, Trotski était le fils d’un
riche fermier et il avait reçu une bonne éducation. Mais ses manières policées
ne jouaient pas en sa faveur et il avait le mauvais goût de se faire
accompagner en voyage par son cuisinier et d’affubler son personnel de bottes
flambant neuves et de tenues à boutons dorés. Il faisait plus vieux que son
âge, malgré son abondante chevelure bouclée toujours noire et il avait les
traits creusés par les soucis.
Il avait accompli des miracles
avec l’armée.
Les gardes rouges qui avaient
renversé le gouvernement provisoire s’étaient révélés moins efficaces sur le
champ de bataille. Ils se soûlaient et étaient indisciplinés. Le principe
consistant à décider de la tactique par un vote à mains levées avait révélé ses
limites au combat ; les résultats étaient pires que lorsque les ordres
étaient donnés par des aristocrates dilettantes. Les rouges avaient perdu des
batailles capitales face aux contre-révolutionnaires qui commençaient à se
donner le nom de « blancs ».
Trotski avait réintroduit la
conscription, déclenchant un véritable tollé. Il avait enrôlé de nombreux
officiers tsaristes, au titre de « spécialistes », avant de les
rétablir dans leurs anciennes fonctions. Il avait également remis en vigueur la
peine de mort pour les déserteurs. Grigori n’appréciait pas ces mesures, mais
il en comprenait la nécessité. Tout était préférable à la contre-révolution.
La cohésion de l’armée était
assurée par un noyau de membres du parti bolchevik. Ils étaient soigneusement
répartis dans toutes les unités pour rendre leur action plus efficace. Certains
étaient de simples soldats, d’autres occupaient des postes de commandement ;
quelques-uns, comme Grigori, étaient des commissaires politiques, qui
collaboraient avec les commandants militaires et en référaient au comité
central bolchevique à Moscou. Ils soutenaient le moral des troupes en leur
rappelant qu’ils se battaient pour la plus grande cause de toute l’histoire de
l’humanité. Quand l’armée devait se montrer cruelle et intraitable, par exemple
en réquisitionnant le grain et les chevaux de paysans qui vivaient déjà dans
une misère noire, les bolcheviks expliquaient aux soldats que c’était
nécessaire, dans l’intérêt supérieur de tous. Ils signalaient aussi le plus tôt
possible les moindres manifestations de mécontentement, afin de les étouffer
avant qu’elles ne fassent tache d’huile.
Mais cela suffirait-il ?
Grigori et Trotski étaient
penchés sur une carte. Trotski désigna la région transcaucasienne, entre la
Russie et la Perse. « Les Turcs contrôlent toujours la mer Caspienne, avec
l’aide des Allemands, dit-il.
— Et menacent les champs de
pétrole, compléta
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