La confession impériale
barrissements. Cadeau de
mon lointain ami, le calife de Bagdad Haroun al-Rachid, cet éléphant allait,
sans trop en pâtir, s’accommoder de nos climats et devenir en quelques semaines
le prince de ma ménagerie.
Capturé, me dit son conducteur, dans la
brousse africaine, ce mastodonte avait attendu des mois la venue d’un navire
franc pour être conduit en Francie. Ce n’est qu’au début de l’automne que l’on
avait pu procéder à l’embarquement, traverser la Méditerranée, puis, en
remontant la vallée du Rhône, le mener jusqu’au terme d’un voyage qui relevait
de l’épopée. À chaque approche d’un village ou d’une ville, la population
s’enfermait en faisant des signes de croix, les enfants jetaient des pierres au
monstre et l’on faisait sonner le tocsin. Suivi d’une escorte d’Arabes armés,
ce pachyderme pouvait laisser croire à une invasion ou au retour du fantôme
d’Hannibal talonné par les légions romaines.
Moi-même je n’en crus pas mes yeux, quand, des
cris m’ayant jeté hors de mon cabinet, je me rendis au-devant de la caravane.
Cet animal ne m’était pas inconnu ; j’en avait vu, dans des enluminures,
des images traitées avec un tel mépris de la réalité que je l’assimilais à une
créature mythique.
Aboul-Abbas avait, au moment de franchir la
porte principale de mon palais, tout juste assez large pour sa corpulence,
répandu la panique dans mon petit monde. Mes gardes s’étaient jetés dans la
cour, lance au poing, comme pour s’opposer à une attaque surprise. Je les avais
rassurés et avais fait conduire le monstre et les chariots chargés de sa provende
dans le parc entourant ma ménagerie, où je fis préparer à son intention une
cabane proche de l’écurie du zèbre.
J’appréciais fort les cadeaux du calife, mais
là, il passait les bornes. S’était-il demandé ce que j’allais faire de cet
animal, comment j’allais le nourrir, en quoi il pourrait bien m’être
utile ? À part distraire mes visiteurs, me promener sur son dos, le faire
marcher à la tête de mon armée comme les Carthaginois, qu’en faire ?
Ce qui me rassura, c’est son humeur paisible.
Il mangeait dans ma main et me suivait comme un chien dans les allées de mes
jardins, le printemps venu, ce qui le ravissait. Il goûtait de toutes les
plantes, de toutes les eaux, fouillait l’herbe pour y retrouver des fruits
gâtés, barrissait de joie lorsque je lui permettais de se baigner dans un étang
et de se vautrer dans la vase.
Un autre cadeau du
calife, qui me manifestait de plus en plus de générosité, me parvint quelques
mois après l’arrivée d’Aboul-Abbas.
Au milieu d’un fatras de livres enluminés,
d’armes damasquinées, de petits meubles en bois de rose et de bijoux, de
paquets d’aromates et de vêtements précieux, je découvris un objet
merveilleusement insolite : une horloge hydraulique. Habillée de bronze
doré, finement ornée, elle sonnait les heures par la chute de petites billes
métalliques et par des portes qui s’ouvraient pour libérer des miniatures
représentant des cavaliers maures.
Ce fut, à une autre occasion, un jeu d’échecs
aux figurines d’ivoire et d’or. Je n’en finirais pas d’énumérer ses bienfaits,
tant la source de ses trésors paraissait inépuisable. J’y répondais, avec plus
de modestie, par des offrandes pour ses pèlerins et l’envoi de quelques
esclaves blondes de Germanie, dont il goûtait fort les services, à ce qu’on m’a
rapporté.
Cette année a été
endeuillée, je l’ai dit, par la mort de mon épouse, la reine Liutgarde, après
six ans d’une existence commune sans nuages.
Cette fille d’Alamanie, la quatrième de mes
épouses et ma préférée, avec Hildegarde, a fait de ma vie intime un tapis tissé
d’une haute laine de bonheur. Mon seul regret est qu’elle n’ait pu procréer,
j’ignore pourquoi. Mes médecins et les matrones du palais, qui l’ont examinée,
n’ont pu se prononcer.
Autour de moi on
s’active pour préparer les cérémonies de mon couronnement. J’ai longtemps
repoussé cette perspective et n’y ai cédé que sur les instances du pape Léon et
de mes proches. Empereur, ne le suis-je pas déjà, en fait sinon en titre ?
À plusieurs reprises, j’ai dû repousser les
offres de mariage que me faisait l’impératrice Irène, cette momie folle,
acariâtre et cruelle. De quelle utilité eût été une union, à notre âge ?
Autre question capitale :
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