La couronne dans les ténèbres

explications à sa mort.
    — Soit c ‘était un accident : étant donné les circonstances décrites ci-dessus, le cheval du roi a pu trébucher et tomber de la falaise, entraînant son cavalier avec lui.
    — Soit il y a eu négligence : le sénéchal Alexandre est un ivrogne. Il peut avoir été ulcéré d’être obligé de sortir par une nuit noire de tempête et ne pas avoir sellé correctement la jument du roi, ce qui aurait causé l’accident de Kinghorn Ness. Dans ce cas, pourtant, pourquoi la chute n ‘a-t-elle pas eu lieu plus tôt ? Et cette négligence aurait-elle suffi à précipiter dans le vide cheval et cavalier ?
    — Alexandre III est-il vraiment mort à Kinghorn Ness ou est-ce là un subtil stratagème du roi ? Il avait la réputation d’aimer les déguisements, les mascarades et les farces. Aurait-il mis en scène une fausse mort pour de mystérieuses raisons ? Je sais que ce n’est qu’une simple hypothèse et que je n’ai aucune preuve pour l’étayer ; en outre, l’accident a eu lieu il y a plus de deux mois, et il n’y a nulle raison pour réfuter l’évidence, à savoir que le roi est mort et enterré à l’abbaye de Jedburgh.
    — Alexandre III a été assassiné par un ou plusieurs inconnus. Pourquoi et comment, cela reste à découvrir. Certains faits non élucidés rendent cette hypothèse plausible.
    — Pourquoi le roi a-t-il quitté Edimbourg par une telle nuit pour rejoindre la reine ? Il aurait pu attendre le lendemain. Si c’était une question de concupiscence, il ne manquait pas à la Cour de dames prêtes et consentantes. Et s’il s’agissait d’amour, pourquoi la reine Yolande s’est-elle montrée si peu bouleversée et chagrinée par sa mort ?
    — Le roi arborait une mine sombre en arrivant à la réunion du Conseil convoqué pour une raison mineure ; tout d’un coup, son humeur changea, il devint joyeux et heureux comme un jeune marié la nuit de ses noces. Pourquoi ce revirement ?
    — L’aspect le plus mystérieux, c’est que rien ne prouve qu’à son arrivée à cette réunion le roi ait eu l’intention de partir à Kinghorn. Il a pu le décider soudainement par la suite. Seulement, on avait déjà envoyé un message à Kinghorn, enjoignant au sénéchal de se trouver sur la grève avec des montures fraîches pour le roi, et ce, des heures avant la réunion du Conseil. Qui envoya ces ordres et comment le messager franchit-il le Firth of Forth ?
    « Enfin il y a les prophéties annonçant la mort imminente du roi, qui circulaient dans le pays des semaines avant son décès. Qui est à la source de ces prédictions ? S’il s’agit d’un assassinat (et je n’ai que de maigres preuves), alors rappelons-nous, Monseigneur, la question de Cicéron : Cui bono ? A qui profite le crime ? A Bruce, ulcéré de ce que la Couronne lui ait échappé en 1238 ? Bruce, qui aurait voulu se venger du roi et aurait redouté que sa famille ne perdît une seconde fois l’occasion de faire valoir ses prétentions au trône ?
    « Ou à la reine Yolande, qui ne se dérangea même pas pour saluer la dépouille de son mari, mais qui s’enferma à Kinghorn en proclamant qu’elle était enceinte ? La reine Yolande, qui savait que son époux viendrait ce soir-là, ne prit même pas la peine d’envoyer des gens à sa recherche lorsqu’elle ne le vit pas arriver ?
    « Ou encore à Patrick Seton, l’écuyer et valet du souverain, qui aimait le roi comme un homme aime une femme et qui était jaloux de la reine ? Lui seul accompagnait le roi quand il est mort. Je me demande si la chevauchée insensée entreprise par cette nuit de tempête n’a pas fini par faire chavirer son esprit ; il aurait alors causé la perte du roi et serait mort ensuite, le coeur brisé. Je ne comprends pas pourquoi il refusa, à son arrivée à Kinghorn, d’attendre son maître et ne partit pas à sa recherche. Savait-il que ce dernier avait déjà péri ?
    « Les Français, aussi, tirent grand bénéfice de la disparition d’Alexandre III. Leur nouveau suzerain, Philippe IV {8} , consacre toute son énergie et toutes ses ressources à contracter des alliances en Europe. Alexandre repoussa toujours ses offres, Dieu sait pour quelles raisons. A présent qu’il n’est plus là, le roi Philippe peut tisser de nouvelles toiles d’araignée et se gagner un allié qui serait un poignard dans le dos de l’Angleterre. Peut-être espérait-il également — et