La couronne dans les ténèbres
bientôt arrivés, dit Thomas avant de se remettre en route.
En le suivant, Corbett remarqua le même symbole sur d’autres arbres le long du sentier. Soudain, le son pur et clair d’un chant d’oiseau éclata dans le silence. Thomas s’arrêta et fit signe à Corbett de l’imiter.
— Ne bougez pas, murmura-t-il.
Le signal se répéta, plus fort, presque menaçant. Thomas arrondit ses lèvres et siffla en retour, levant les mains comme un prêtre bénissant l’assemblée. Le sifflement reprit alors, clair et simple, et cessa brusquement. Corbett se mit à scruter le vert opaque de la forêt en guettant le moindre mouvement et faillit crier de terreur en sentant une main sur sa jambe. Il baissa les yeux et croisa le regard d’un petit homme brun, aux cheveux noirs flottant sur les épaules. Il jeta un coup d’oeil affolé autour de lui et en vit d’autres : petits, le teint bistré, ils portaient justaucorps et jambières de cuir et devaient lui arriver à peine à la poitrine. Certains étaient revêtus de capes fermées au cou par d’énormes broches d’apparat. Tous étaient armés de lances, d’arcs courts et de poignards redoutables accrochés à leur ceinture. L’air impassible, ils observaient Corbett pendant que leur chef s’entretenait avec Thomas en une langue inconnue du clerc, une langue qui ressemblait à un gazouillis d’oiseau par sa rapidité et ses sonorités aiguës et cliquetantes. Puis le chef cessa de parler et s’inclina devant Corbett qui sentit le reste de la tribu se détendre. Le chef prit le cheval de Thomas par la bride, un autre s’occupa de la monture de Corbett et ils s’enfoncèrent dans la forêt.
Corbett s’attendait à ce que le village des Pictes fût camouflé et dissimulé aux regards, mais soudain la forêt s’éclaircit ; les feuillages, percés d’abord timidement par les rayons du soleil, furent bientôt baignés de lumière alors que Corbett et ses compagnons quittaient brusquement le couvert des arbres pour s’avancer dans une vaste clairière. En face d’eux surgissait de terre un énorme amas de rochers qui surplombait les méandres nonchalants d’un burn {13} . Les cabanes au toit de chaume, à l’entrée petite et au plafond bas, étaient très espacées ; c’était un village semblable à la majorité de ceux qu’avait vus Corbett ailleurs, si ce n’est qu’il y avait ces petits hommes bruns au regard furtif et aux gestes silencieux.
— Venez, Corbett ! appela Thomas. Nous sommes entre amis !
— Leur langue est bizarre, dit Corbett, et leurs façons de faire si mystérieuses !
Thomas jeta un coup d’oeil à la ronde et acquiesça :
— Oui, c’était un peuple fier, autrefois, qui régnait sur la majeure partie de l’Écosse, mais les Celtes, les Angles, les Saxons et les Normands les chassèrent de leurs terres et les repoussèrent au fin fond des vastes forêts. Ils s’aventurent rarement hors de leurs territoires et font montre d’une extrême méfiance envers les étrangers.
— Et si j’en rencontrais, étant seul ? questionna Corbett.
Thomas grimaça :
— A découvert ? Ils passeraient leur chemin, et dans la forêt, vous ne les apercevriez même pas. Si vous les blessiez ou les offensiez, continua Thomas en se retournant et en montrant, sur l’amas de rochers, des statuettes de femmes aux cuisses plantureuses et aux énormes seins ronds, ils vous mettraient dans une cage d’osier et vous brûleraient vif en offrande à leur Déesse-Mère.
Voyant Corbett se rembrunir, il ajouta :
— Voyons, Hugh ! Dites-moi donc ce qu’on fait chez vous, à Smithfield !
Corbett lui lança un regard surpris avant de détourner les yeux. La tension fut rompue par le chef picte qui prit Thomas par la main, tel un enfant avec un parent, et le mena dans la plus grande cabane, faisant signe à Corbett de les suivre.
L’intérieur en était sombre et frais, il y régnait une légère odeur d’herbes écrasées et de bruyère. Au milieu de la pièce un cercle de pierres abritait le foyer, la fumée sortant par un trou ménagé au-dessus de poutres grossières. Corbett frissonna lorsqu’en s’approchant il vit des crânes humains posés à la croisée des poutres. Un vieillard, enveloppé d’une tunique, était assis près du feu. Quand Corbett et Thomas s’accroupirent devant lui, de l’autre côté de l’âtre, il les dévisagea de ses yeux chassieux et leur sourit ; un filet de salive coulait de sa
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