La couronne dans les ténèbres
souverain ? Quelle autorité détenez-vous pour ce faire ?
Corbett redoutait cette question et savait depuis longtemps qu’elle lui serait posée un jour ou l’autre. Il haussa les épaules pour dissimuler sa peur.
— Je suis un envoyé, répondit-il. Ma mission consiste à glaner des renseignements. Vos envoyés agissent de même en Angleterre.
Wishart eut un petit sourire narquois et se pencha en avant, les mains jointes en triangle.
— Vous pensez que notre défunt roi a été assassiné ? demanda-t-il.
— Oui, s’empressa d’affirmer Corbett. Oui, je crois qu’on l’a tué. Je pourrais mentir, je pourrais essayer de vous donner le change, mais ce que je vous dis est la vérité. Je sais qu’il a été assassiné, mais par qui ou comment, je l’ignore.
Wishart opina et Corbett sentit instinctivement la tension se relâcher.
— Messire, commença l’évêque, je crois que le roi a été victime d’un assassin, et franchement, cela m’importe peu ! Comprenez-moi bien, continua-t-il avec un geste d’avertissement, Alexandre n’était pas un parangon de vertu et certainement pas un modèle de chevalier chrétien, mais ce fut un bon souverain pour l’Écosse. Il la préserva de toute alliance étrangère, de toute guerre étrangère, de toute ingérence étrangère.
La voix de Wishart se fit plus passionnée :
— La seule chose qui me tienne à coeur plus que ma famille et mon Église, Messire l’Anglais, c’est l’Écosse. Alexandre servit bien son pays, sauf qu’il ne lui donna pas d’héritier pendant son mariage avec cette ribaude de Française.
— La reine Yolande est enceinte, l’interrompit Corbett, perplexe devant l’attitude de l’évêque.
— La reine Yolande n’est pas enceinte, dit Wishart avec force. C’est là un fait établi. Elle va retourner en France et donc détruire tout espoir d’alliance permanente.
— Mais la reine était bien enceinte ?
Wishart fit signe que non.
— C’était ce que les docteurs appellent une grossesse nerveuse, probablement causée par la disparition soudaine de son mari, ou par un sentiment de culpabilité ou par Dieu sait quoi...
— Mais cette alliance... ? questionna Corbett.
Wishart sourit.
— Vous n’étiez pas au courant ? Alexandre était fort intrigué par le nouveau roi de France, Philippe, et par ses projets pour l’Europe. Yolande de Dreux représentait le premier pas en vue d’une nouvelle alliance avec la France.
Wishart haussa les épaules.
— C’était un secret. Un secret que je n’appréciais guère, mais Alexandre était têtu. Il ne pardonna jamais à votre roi de l’avoir insulté.
— Quand était-ce ? demanda Corbett, complètement dérouté.
— En 1278, à Westminster, lors du couronnement de votre roi. Édouard pria, à juste titre, Alexandre de prêter serment d’hommage pour les terres qu’il possédait en Angleterre, ce que fit Alexandre. Mais ensuite Édouard voulut qu’Alexandre fît allégeance pour l’Écosse. Notre roi refusa, déclarant avec raison qu’il n’était redevable de son trône qu’à Dieu. Alexandre ne pardonna jamais cette insulte.
— Je l’ignorais, murmura Corbett. Mais vous avez dit que vous aussi pensiez que le roi avait été assassiné.
— Non, répliqua prudemment l’évêque. J’ai dit qu’il aurait pu l’être. Une mort violente dans son cas était à prévoir, étant donné la façon dont il vivait. Mais, s’il y a eu assassinat, la question importante n’est pas qui l’a commis, mais pourquoi on l’a commis. Si c’est une vengeance personnelle...
L’évêque n’acheva pas sa phrase et haussa les épaules.
— Mais si c’est un acte politique, cela touche l’Ecosse et excite mon intérêt.
— Monseigneur, vous ne semblez pourtant pas vous en soucier, objecta Corbett.
— Au contraire, rétorqua Wishart, « Monseigneur » s’en soucie grandement ! Mais que puis-je faire ? Ouvrir une enquête publique ? Qu’arriverait-il si l’on découvrait que le coupable était Lord Bruce, hein ? Une guerre civile ? Non, ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.
— Donc, poursuivit Corbett, ce que je découvre vous intéresse. Alors pourquoi la prison, et pourquoi, dit-il en désignant Selkirk, les bons soins de cet... individu ?
Selkirk se raidit sous l’insulte et fit mine de se lever, mais Wishart l’apaisa d’un geste.
— Oui, Corbett, ce que vous découvrez m’intéresse au plus haut
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