La danse du loup
champion refuse la grâce ; il n’a que dépris pour ma clémence. Dois-je l’occire ?
— C’est votre droit le plus absolu, messire de Montfort. Vous m’en verrez certes attristé. Mais le combat était loyal. Je vous proclame vainqueur de l’ordalie.
— Mes écuyers sont-ils reconnus innocents ?
— Oui, messire chevalier, Dieu en a décidé ainsi.
— Mes écuyers sont-ils libres de leurs mouvements ?
— Oui, messire de Montfort. À tout jamais. Mais, de grâce, achevez à présent votre besogne par-devant nous et nos barons !
— Non, sire Hugues, je ne puis occire un chevalier blessé et à terre. Je ne suis point un de ces coutiliers anglais ! Messire Geoffroy de Sidon s’est comporté avec grande vaillance. Je le porte en grande estime pour son courage, sa force et sa valeur. »
Puis s’adressant au chevalier vaincu :
« Messire, je vous fais grâce. En vertu des droits que me confère ma victoire sur vous.
— Je refuse de dire merci ! Je refuse votre grâce tout de gob ! Faites votre mazelerie, messire de Montfort. Achevez-moi ! Mais faites vite et proprement, implora-t-il dans un souffle.
— Non, messire Geoffroy. Je ne vous occirai point. Sauf si céans vous refusez de vous joindre un jour à nous pour combattre les Godons qui envahissent notre royaume, pillent nos campagnes, forcent nos femmes, rançonnent et massacrent nos chevaliers, nos laboureurs, nos bergers et nos bourgeois. Nous avons grand besoin d’hommes aussi courageux et vaillants que vous en notre comté du Pierregord ! »
Sans attendre sa réponse, Foulques de Montfort s’adressa au roi de Chypres :
« Sire Hugues, accorderiez-vous au chevalier de Sidon la grâce de venir quérir quelque indulgence en notre bonne terre d’Aquitaine pour nous aider à bouter les Anglais hors de notre royaume ? Si je lui laisse la vie sauve ? »
Le roi ne répondit pas. Il semblait soudainement absent de ce monde de chair et de sang, accablé par le poids de sa couronne. Il prit le conseil de ses barons.
La poitrine du chevalier de Sidon se soulevait et s’affaissait selon sa respiration. À en faire craquer les quelques aiguillettes qui assemblaient encore les différentes pièces de son armure. Était-il sur le point de passer outre ? Une de ses paupières était fermée, atrocement gonflée et tuméfiée.
Il fixa longtemps le chevalier de Montfort d’un regard vide, les traits tirés, le visage de cire. Le sang ruisselait de son front. La bête devait souffrir l’agonie. Mais la bête sauvage n’était qu’un homme. Un homme blessé, désarmé et vaincu. À la merci du bon vouloir d’un chevalier et d’un roi.
« Oui, messire Foulques. Je vous accorde sa grâce. Qu’il en soit fait selon votre volonté. Je vois là grande générosité de votre part. Le chevalier de Sidon vous sera aussi fidèle qu’il le fut à mon service. Il devra se soumettre à votre exigence. Je sais qu’il le fera de bonne grâce et avec grande vaillance.
— Je connais sa force et sa vaillance pour en porter les marques dans ma chair », ajouta-t-il en désignant son épaule de laquelle s’écoulait à présent un flot de sang qui rougissait toute sa cotte d’armes au point de teindre entièrement de gueules écarlates l’azur, l’or et l’argent des armes des Montfort.
« Alors, messire de Sidon ! Votre réponse ! Vite !
— Y penserai, messire », répondit-il. Puis, après un instant d’hésitation, il reprit un souffle qu’il avait court et dit : « Y viendrai… » En entendant ces mots, la foule devint haineuse. Les valets d’armes durent entrelacer leurs piques les unes aux autres pour éviter qu’elle ne les déborde.
Thésée avait vaincu le Minotaure. Montfort rengaina son épée dans son fourreau. Il lui tendit une main pour l’aider à se redresser. Il n’y parvint pas. Sur un signe du héraut d’armes et du maître des arbalétriers, deux écuyers se précipitèrent pour l’aider. Ils y parvinrent à grand arroi de peines. Le chevalier de Montfort eut encore la force de se gausser en ces termes :
« Messire Geoffroy, le jour prochain où vous mettrez vos talents à tailler du Godon à nos côtés en la région d’Aquitaine, de grâce, priez votre barbier de raser ces broçailles qui gâchent vos oreilles et votre nez ! »
Le chevalier de Sidon observa longuement le chevalier de Montfort d’un œil, le seul qu’il gardait ouvert. Puis il éclata
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