La danse du loup
n’avait pas refermé le mézail. Il la fit tournoyer aussi facilement que si l’extrémité avait été composée d’une boule en cuir bourrée de crin. D’où nous étions, nous en percevions le sifflement aigu. Nous échangeâmes, Arnaud et moi, un regard effaré. Le géant avait chancelé, mais la bête était toujours prête au combat.
Montfort se fit remettre une non moins impressionnante hache d’armes. Le fer brillait d’un côté, d’un éclat affûté. De l’autre, un pic aussi long que celui d’une guisarme prolongeait la lame. Le manche, long de deux coudées, était équipé d’une large sangle en cuir que le chevalier enroula autour de son poignet.
Il la brandit en plusieurs mouvements tournoyants, du bas vers le haut, puis de dextre à senestre pour s’assurer de la qualité de la prise et de l’équilibre de l’arme. D’où nous étions, nous en percevions le sifflement aigu. La hache d’armes pourfendait l’air comme une épée bien affûtée tranche un papyrus en deux parties. Mais le sang rougissait à présent sa cotte d’armes sur tout le haut de sa poitrine. Son corps obéirait-il ? Je craignis que la défaillance de ses membres l’emportât sur sa science des armes et la volonté de son esprit.
Le héraut annonça que les joutes lances couchées n’ayant pu désigner de vainqueur, l’ordalie se poursuivrait à cheval ou à pied jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Lorsque les tambours cessèrent de battre, les destriers s’approchèrent l’un de l’autre, au pas. Au même instant, leurs cavaliers les éperonnèrent, les piquant des deux, l’arme à la main, les rênes retenues par l’autre main, celle qui était glissée dans la sangle du bouclier.
L’étoile du matin décrivit de larges courbes, de plus en plus vite, avant de frapper avec une force incroyable l’écu du chevalier de Montfort. L’écu se disloqua et se brisa en deux morceaux.
Profitant du bref instant pendant lequel le géant avait baissé la garde, Montfort abattit sa hache d’armes de toutes ses forces, côté pic, sur l’épaule de son adversaire. Il disloqua les plattes qui la protégeaient avant même que Sidon n’ait eu le temps d’esquisser une parade.
Puis, par une rapide rotation du poignet, il lui asséna un nouveau coup, côté lame cette fois, avec une violence inouïe et au même endroit. Plusieurs pièces de métal, broyées et disloquées sous la violence de l’impact, furent projetées dans la foule.
Le roi Hugues, se penchant in extremis , évita l’une d’icelles. Le métal acéré se ficha dans la gorge d’un chevalier qui assistait derrière lui au spectacle.
Le malheureux porta les mains à son col et s’effondra. Je ne vis plus qu’une giclée de sang à l’endroit où il se tenait quelques instants plus tôt. Des pages se précipitèrent pour le hisser sur une civière. Les chevaliers de l’entourage du roi applaudirent à tout rompre l’exploit du chevalier de Montfort.
Au même moment, nous vîmes arriver la princesse Échive. Deux pages la soutenaient par les coudes. Elle était vêtue d’une longue toge blanche aux manches tombantes qui s’élargissaient aux poignets, et coiffée d’une couronne de laurier.
Le regard perdu, elle ne semblait ni ouïr ni voir le monstrueux combat qui se livrait dans l’enclos pour cause du déshonneur que deux sodomites lui avaient infligé. Elle prit place séant, entre ses frères. Le spectacle s’était déplacé un court instant vers la tribune. Pas pour longtemps.
Sidon se rua sur Foulques. Comme une bête devenue folle de rage se jette sur sa proie pour la déchirer et la dévorer. Il lui assena sur le heaume un coup tourbillonnant.
Distrait par les applaudissements qui provenaient de la tribune royale, Montfort ne parvint pas à l’esquiver. La foule, en grand émeuvement, hurlait à l’unisson : « Ohhh ! Aaaaaah ! »
La tête de notre champion dodelina, son heaume toucha presque l’encolure de son destrier. Ses pieds glissèrent sur les étriers. Il chancela, perdit l’équilibre et vida les arçons en soulevant une gerbe de poussière. À terre, Foulques de Montfort était devenu très vulnérable. C’en était fait de nous.
Le héraut d’armes suivait attentivement ses moindres gestes et les coups qu’il s’apprêtait à porter, pour surprendre la moindre faute. S’il constatait un coup déloyal ou félon, au signal qu’il donnerait, le maître des arbalétriers ordonnerait de
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