La danse du loup
dans la pénombre d’un vaste capuchon de laine blanche.
Elles se rapprochèrent, se frottèrent l’une contre l’autre, paumes à plat, puis s’étreignirent en un lent mouvement pour réchauffer des doigts engourdis par des heures passées à percer le mystère de ce récit rédigé de manière secrète, à l’aide de ciels multiples.
En ce jour-là, le loup se terrait pour ne pas entendre les gémissements de sa mère. Il pleurait à sa manière, à la manière des loups. Ne manquait-il pas à son devoir filial ? Pouvait-il abandonner à son triste sort la chair de sa chair ? Le sang de son sang ?
Brusquement, il se résolut à ressortir. En espérant ne plus rien entendre, ne plus entendre ce hurlement plaintif qui lui déchirait les entrailles. À cette heure, la louve avait certainement trépassé, à bout de force. À moins qu’elle n’ait été dévorée par un autre loup. Ou achevée par la main de l’homme.
Tout d’abord, il ne perçut que le silence. Un silence à peine troublé par le bruissement d’un souffle d’air sur le feuillage des arbres. Puis le frémissement des fougères, le craquement de la mousse qui se recroquevillait sous les premiers rayons du soleil levant. Un coq clama sa virilité en haut, du côté de l’abbaye. Le loup se pourlécha les babines et envisageait de s’en approcher lorsque la forte odeur d’un renard lui effleura les narines.
La chair du renard était plus forte, plus goûteuse que celles des coqs, des poules, des poulets et autres volailles. Aussi goûteuse que celle du mouton, mais plus difficile aussi à attraper. L’instinct de la chasse fut cependant le plus fort. Il renonça au coq et commençait à se diriger vers l’ouest, museau au ras du sol, lorsqu’un hurlement long et prolongé l’arrêta aussitôt, patte levée.
Elle n’était point morte. La louve, sa mère, vivait encore. Cette garce avait la vie dure. Mais curieusement, l’appel ne provenait plus cette fois du côté où la mousse recouvrait le pied des chênes.
La plainte était plus lointaine, plus à l’ouest et plus au sud à la fois. Curieux, se dit-il. Serait-elle parvenue à se libérer du piège dans lequel elle était tombée ? Mais était-ce un piège ? N’aurait-elle pas été mordue par un chien de berger ? Non, les moutons se faisaient très rares ces temps-ci.
Le feu ravageait les campagnes. Des hordes hurlantes enlevaient le bétail, abandonnaient sur le terrain de la chair humaine ensanglantée, morte ou blessée. L’ordinaire des meutes. Des proies faciles, sans défense. Mais peu appétissantes.
La louve n’aurait-elle pas plutôt reçu un coup de fourche, ces terrifiants instruments qu’utilisaient les hommes des campagnes pour protéger leurs clapiers, leurs volaillers et leurs brebis ?
Devait-il suivre la piste du renard ou tenter de rejoindre sa génitrice ? Si elle pouvait encore se déplacer, il courait moins de risques de tomber dans un piège qu’il ne l’avait craint.
Il connaissait bien les appâts que l’homme utilisait pour attirer les loups : du sang de porc à proximité des pièges, de la bouse de vache, des crottes de mouton. Autrefois, avant que la guerre que les humains se livraient entre eux ne saccageât le pays.
S’il venait à sentir ne serait-ce que le soupçon de l’une de ces odeurs sur son parcours, il s’en écarterait prudemment, contournerait largement l’obstacle.
Il hésitait encore lorsqu’un nouvel appel aussi déchirant le décida. Après tout, il était sûr de lui : n’avait-il pas, dans le passé, déjoué bien des pièges tendus par les bêtes à deux pattes. Là où d’autres loups, moins futés, moins rusés, s’étaient trop souvent laissés prendre ?
Après une dernière hésitation, il abandonna finalement la trace du renard et décida de partir au secours de sa mère, quelque part vers le sud-ouest. L’appel du sang était le plus fort.
Le loup se dirigea droit vers son destin, vers les mâchoires du piège infernal qu’un autre loup, plus fort, plus rusé que lui venait d’ouvrir sur son passage.
Un piège sans couleur. Un piège sans odeur.
Fin du tome I
Sommaire
PRINCIPAUX PERSONNAGES
GLOSSAIRE
PETITE BIBLIOGRAPHIE
Principaux Personnages et lieux-dits
AIGREFEUILLE (GUILLAUME D’)
Futur cardinal et personnage historique. Fera partie du premier cercle des conseillers
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