La danse du loup
chevalet articulé.
Arnaud devait déjà lorgner vers elles et tenter d’attirer leur attention. Mais il était trop loin pour qu’elles tombent sous le charme irrésistible de ses yeux noisette fendus en amande. D’ailleurs, après nous avoir jeté un regard furtif, ces dames reprirent leurs travaux avec un mépris indifférent.
Je pressentais cependant qu’elles devaient tendre l’oreille pour ouïr notre conversation. Les distractions au château ne devaient pas être enivrantes.
Le sire de Castelnaud, à qui je nous présentai, casque à la main et camail sur la tête, ordonna à l’un de ses serviteurs de nous servir du vin chaud, du bout des lèvres, sans nous inviter à nous asseoir sur le banc dont le dossier était ciselé de monstres plus grotesques et épouvantables les uns que les autres.
Bien qu’Arnaud se tînt à deux pieds derrière moi (la coutume l’exigeait pour un second écuyer), le seigneur de Castelnaud l’avait peut-être vu s’espincher vers icelles.
Il dut en prendre ombrage, car il pria sa dame et sa suite de bien vouloir se retirer. Il n’était apparemment pas sensible aux charmes du second écuyer du baron de Beynac. Arnaud en fut pour ses frais. Sitôt apparues, sitôt disparues. Puis, se tournant vers nous, un peu sèchement :
« Messires écuyers, que me vaut votre visite ? »
Je transmis au sire de Castelnaud les salutations de son cousin, le baron de Beynac. Il m’en remercia sans aucune chaleur, par simple courtoisie, et me pria de lui transmettre les siennes en retour.
Je l’interrogeai ensuite sur d’éventuelles chevauchées ou sur des mouvements de troupes ennemies que ses guetteurs ou ses espions auraient pu observer récemment.
Avant de me répondre, il réfléchit un instant. Puis, une moue sur les lèvres, il nous fit comprendre qu’il n’en était rien. La mission officielle dont nous avait chargés le baron s’arrêtait là. La mienne commençait.
Toujours debout, nous goûtâmes poliment, Arnaud et moi, un vin tiédasse servi dans des gobelets en étain frappés aux armes des Castelnaud de Beynac. Celles-là, je les connaissais, instruit de la science du baron. Et pour cause. Une vieille histoire de famille et d’alliances matrimoniales.
Le vin, de la pisse de chat, était à peine buvable. Arnaud s’en étrangla et faillit le raquer.
Le seigneur de Castelnaud, hautain (quel honneur, messire nous faites-vous d’avoir accepté de nous recevoir), ne daigna pas faire une santé avec nous. Et pour cause, il ne devait pas apprécier la pisse de chat. Un homme de goût, au fond ? Avant qu’il ne nous congédiât, je pris sur moi :
« Messire, j’aurai une question personnelle à vous soumettre. Une seule question, messire.
— Ne tournez pas autour du pot. Je n’ai pas de temps à perdre. Parlez, messire Brachet.
Je sais votre science des blasons. Pourriez-vous identifier ces armes ? » répondis-je mortifié, en lui posant malgré tout la question qui me brûlait les lèvres et en lui tendant d’une main un peu hésitante une reproduction des armes d’Isabeau de Guirande.
Il y jeta un coup d’œil attentif. Je frétillai, tel un gardon fraîchement pêché. Après un silence qui me parut plus long que l’éternité, il prononça l’évidence :
« D’argent et de sable, écartelé en sautoir, le chef et la pointe partis ? Cela évoque pour moi un vague souvenir », dit-il rapidement, les yeux fuyants. Il reprit d’un ton cassant :
« Je regrette, je ne connais pas ces armes. Votre maître ne les reconnaît-il pas ?
— Non, messire », suffoquai-je, le souffle coupé, le corps tendu comme un arc bien bandé. Le gardon ne frétillait plus.
« Dans ce cas, adressez-vous au chevalier de Sainte-Croix, à Cénac. Peut-être pourra-t-il les identifier, lui. »
Au ton de sa réponse, je compris que sa décision était prise. S’il connaissait ces armoiries, il ne me le dirait pas.
« Au fait, en quoi cette affaire vous intéresse-t-elle (il devenait un peu trop curieux à mon goût) ?
— Je souhaite retrouver la trace de quelqu’un qui est cher à mon cœur, avouai-je. »
Je n’avais pas plutôt prononcé ces paroles en rougissant, que son attitude, déjà peu amène, changea brusquement. D’un ton sec et peu avenant :
« Je regrette, je ne connais pas ces fantaisies, bava-t-il avant d’enchaîner d’un air méprisant :
— Sans doute ces armes sont-elles de petite noblesse ou celles de
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