La danse du loup
Nous nous rejoindrions ensuite devant l’entrée de la forteresse à l’heure où sonneraient les vêpres, pour franchir la porte en bon ordre.
Le petit fétot. Il m’avait piégé. Je compris trop tard pourquoi il avait fait traîner le repas en longueur. Il connaissait mon goût pour la bonne ripaille et le bon vin : tourin, mique, goujons frits, pâté de foie et autres cochonnailles, civet de lièvre aux graines de séné, salade de mâche à l’ail (Arnaud n’aimait pas l’ail), assortiment de cabécou, de fromages de brebis et tourtous de seigle au miel. Un repas léger en somme.
Je n’avais plus le choix. Il m’avait mis devant un fait accompli pour avoir les mains libres, le petit coquardeau. Car Arnaud était rusé comme un renard. Il avait bien préparé son coup. J’irai donc aux Mirandes de mon côté et lui, au Mont-de-Domme. Il y avait certes une autre possibilité : inverser les rôles.
Je réfléchis un bref instant. Si je la lui proposais, il me tirerait une gueule de six pieds de long jusqu’à sa prochaine virée. Et puis, il était le seul fil qui me reliât à Gilles de Sainte-Croix, ce moine soldat, physicien de surcroît.
Je lui fis alors jurer de prendre langue avec le chevalier de Sainte-Croix. S’il était disponible, il devait lui soumettre les armes dont je cherchais à identifier la famille.
Dans le cas contraire, il devait s’enquérir sur l’heure et le jour où il serait à même de m’accorder une audience pour mettre sa science des blasons au service de la question qui me hantait jour et nuit.
Il me promit d’entreprendre cette démarche incontinent, le regard un peu trop fuyant à mon goût, mit le pied à l’étrier, se coiffa du casque et du gorgerin, saisit sa lance et lança sa monture au trot, puis au galop.
En chevauchant en direction du village des Mirandes, je profitai de l’occasion pour rendre une visite au tanneur de Castelnaud-la-Chapelle, dont la masure bordait la rive de la rivière Dourdonne, à senestre.
Ce jour d’hui, il ne me gratifia pas d’une nouvelle paire de bottes fourrées. Il est vrai que le temps était sec et qu’il n’avait pas besoin de mon destrier pour sortir son charroi, comme en décembre dernier, de l’ornière bourbeuse dans laquelle il l’avait enlisé jusqu’aux moyeux.
Le tanneur était de ces gens simples pour lesquels la vie était dure, mais qui savaient garder joie de vivre et sens de l’accueil. Il m’arrivait souvent de préférer leur compagnie à celle de ci-devant nobles, un peu trop arrogants, un peu trop imbus d’eux-mêmes parce que la naissance leur avait conféré des privilèges qu’ils ne méritaient pas toujours.
Le forgeron des Mirandes à qui je rendis ensuite visite, était un petit homme trapu, bedonnant et jovial. Il me proposa de me servir lui-même un verre de vin chaud, un excellent cru, me dit-il, qui provenait d’un tonnel dont lui avait fait cadeau le seigneur de Castelnaud. Encore meilleur si on y trempait une cuiller de miel.
Apparemment, il ne l’avait pas encore goûté. J’attendrai qu’il joue les taste-vin. Je déclinai poliment la proposition. Les braises qui rougissaient sous l’énorme soufflet de la forge suffisaient amplement à me réchauffer, lui affirmai-je en détournant la tête pour qu’il ne lise pas, sur les plis de ma bouche, le dégoût que m’inspirait ce breuvage.
Sur les raisons militaires de ma venue, il m’affirma avec force gestes et mimiques n’avoir observé aucun mouvement inhabituel. Dans un langage cru avec moult jurons, truffé d’insultes à l’endroit des Godons.
Je l’informai en outre que le baron le priait de se rendre au château avant huitaine pour y prendre commande de certains travaux. Eu égard à l’importance des préparatifs de guerre et d’un siège éventuel, son confrère de Beynac ne pouvait satisfaire, seul, aux exigences du baron.
Je pris ensuite congé et le remerciai du bout des lèvres pour le vin chaud. Le soir tombait. Je piaffai d’impatience en attendant le résultat de la visite qu’Arnaud avait dû rendre à Gilles de Sainte-Croix, chevalier de l’ordre de l’Hôpital. Je ne tarderai pas à être fixé.
Pour éviter un détour, et eu égard à l’heure avancée, je trouvai par chance un autre passage de la rivière à gué, en amont des Mirandes, dans un autre cingle, vers Saint Vincent de Cosse. Une fois parvenu sur la bonne rive, j’abattis la bride au triple galop vers l’ouest. Mon
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