La danse du loup
parchemin, s’éclaircit la gorge et lut à haute voix :
« Par-devant moi, Jules Faucheux, premier clerc notaire de sa seigneurie messire Fulbert Pons de Beynac, premier baron du Pierregord, sire de Commarque, de Gajac… » Suivait une longue litanie des différents lieux dont le baron était le seigneur.
Ce dernier le pria d’abréger les préambules. Ce que fît le tabellion, de mauvaise grâce. Il reprit, non sans lui avoir jeté un œil réprobateur :
« Pour avoir ouï, en présence de messire Fulbert Pons de Beynac, en présence du chevalier banneret Guillaume de Saint-Maur et du chevalier bachelier Raymond de Carsac, reçus en qualité de témoins et résidant tour du Couvent, à l’intérieur de la deuxième enceinte du château de Beynac…
— Abrégez ! lui intima le baron : nous avons le ventre creux et le gosier sec. »
Des rires éclatèrent dans l’auditoire, suivis de quelques applaudissements. Un tantinet contrarié, le clerc reprit sa lecture, non sans un geste d’agacement :
« … pour avoir ouï du sieur Auguste Taillefer, ancien serf affranchi, comme en attestent les actes reçus de sa main et joints aux présentes, revêtus du sceau authentique d’Arnaud de Lautrec, seigneur de Castelnaud, en l’an de grâce… »
Quelqu’un l’interpella et le tabusta :
« Eh, Jules ! Pour être affranchi, il est affranchi, Auguste ! Il a trépassé ! Faites parler les morts maintenant ? » déchaînant une hilarité générale. Le baron leva la main. Un seul geste et la rumeur cessa aussitôt. Le clerc n’en pouvait plus :
« … pour avoir ouï en l’an de grâce mil trois cent quarante-cinq, à trois jours des calendes de mai… »
Suivit la lecture du témoignage d’Auguste Taillefer, forgeron de son état, sis village des Mirandes-en-Pierregord… etc.
À partir du moment où le clerc, Jules Faucheux, prononça le nom de l’écuyer Brachet de Born « … accusé par le juge-procureur de Sarlat du meurtre infamant de messire Gilles de Sainte-Croix, chevalier de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem… », tout le monde retint son souffle. Moi aussi.
Le forgeron des Mirandes avait été conduit un soir par le baron de Beynac dans l’antichambre de la librairie pendant que je dormais profondément (l’effet du vin de Bordeaux ? N’était-ce pas la veille du jour où je m’étais réveillé l’esprit embrumé ? N’aurait-on pas versé quelque narcotique dans la cruche ?).
Ils étaient accompagnés, l’un et l’autre, des deux témoins cités dans l’acte par le clerc notaire. Auguste Taillefer m’avait aussitôt reconnu en jurant par Vulcain, que c’était bien moi, et que personne d’autre ne lui avait rendu visite, le jour et à l’heure du crime. Il avait approuvé avec moult précisions tous les détails du récit que j’avais fait. Le seigneur de Castelnaud ne lui avait-il pas fait porter le matin même un tonnel de vin… ? (Sûr que la pisse de chat, on ne risquait pas de l’oublier, une fois qu’on y avait goûté !)
« … en foi de quoi, l’écuyer Bertrand Brachet de Born n’a jamais quitté l’enceinte du château depuis le mois de janvier, excepté le jour de l’assassinat du chevalier de Sainte-Croix. Jour où il a été requis par messire de Beynac en personne, de chevaucher par-delà la rivière pour y déceler d’éventuelles bannières ennemies, avant d’être mis au secret dans l’antichambre de la librairie et confié à la garde de Michel de Ferregaye, capitaine d’armes de la place, le jour même où le prévôt du sénéchal de Pierregord s’est présenté pour faire mainmise sur sa personne… »
Le tabellion phrasait un peu long, mais c’était un bon copiste. Il avait repris à la lettre plusieurs des phrases que j’avais grattées sur les parchemins.
Ainsi, le baron de Beynac, avant d’organiser une confrontation publique, avait fait quérir Auguste Taillefer. Il avait pris toutes dispositions, de jure, pour s’en assurer le témoignage. Fort heureusement pour moi. J’étais sauvé. J’étais innocenté de ce meurtre crapuleux. Enfin, presque.
Hélas, personne ne savait pour autant qui avait commis ce crime abominable, ni comment ni pourquoi les doigts du chevalier avaient grippé, puis s’étaient refermés, soit avant soit pendant son agonie, sur la bague à mes armes. Au point de devoir utiliser un instrument de chirurgie pour l’en extraire. En lui brisant les
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