La danse du loup
en courant, le feu aux joues. J’observai Arnaud à la dérobée. Il ne la quittait pas des yeux. De ses yeux plissés en amandes.
Elle me jeta un coup d’œil appuyé, sans porter la moindre attention à Arnaud. Elle portait la même robe que l’autre soir, mais les cordons qui laçaient son corsage n’étaient plus de la même couleur : ils étaient bleus, ce jour… et d’une seule pièce.
Elle tendit au baron le drap blanc brodé d’un gland sur un lit de feuilles de chêne vert, s’inclina respectueusement, puis s’enfuit en courant.
Quelle que fût l’incongruité de la situation, je ne pus empêcher certains muscles de se bander sous ma ceinture. J’en eus honte et fixai mes yeux sur le corps du pauvre défunt pour calmer mes pensées libidineuses.
Au moment où le seigneur de Beynac recouvrit lui-même le corps disloqué du malheureux forgeron, Arnaud fut pris d’un fou rire nerveux. Il hoquetait et pleurait à la fois.
Le baron, à côté de qui il se tenait, le gratifia d’un revers de la main, d’une gifle à toute volée, à en lui décoler le chef. Sous la violence du choc, Arnaud pivota d’un demi-tour sur lui-même et trébucha. Sa joue vira à l’écarlate, comme des cerises bien mûres, à mesure que l’empreinte blanche des doigts du baron de Beynac s’effaçait. Ça l’avait visiblement calmé. Il se tint coi et penaud.
« Capitaine d’armes ! Trois coups de fouet et dix jours de cachot pour lui ! Pour apprendre à cet abruti de coquardeau à maîtriser ses sens et son comportement. »
La sentence était tombée tel un couperet. Moins définitive toutefois que lorsque le col se trouve sur le billot. Le seigneur de Beynac n’avait pas le sens de l’humour.
De l’humour noir. Surtout lorsqu’il était rouge. Rouge comme le sang du maître forgeron qui maculait à ses pieds le drap brodé d’un gland sur un lit de feuilles de chêne vert dont il venait de le couvrir. Au fait, les chênes blancs ont des glands. Mais les chênes verts en ont-ils aussi ? Oui, des glands doux.
Alors que je me posais cette question sans grand intérêt, on sonna du cor devant la porte de Boines. On pouvait toujours donner du cor, pensai-je : la herse était bloquée, le treuil ne pouvant être rouillé depuis la rupture des cordes.
Gontran Bouyssou, dit Œil de Lynx, le chef du guet, s’avança vers le baron pour lui dire qu’un chevalier qui portait les armes de son cousin, le sire de Castelnaud de Beynac, demandait le libre passage. Il était accompagné de deux écuyers. Le baron pointa l’index d’un large mouvement du bras, en direction de la porte Veuve, signifiant par là qu’il autorisait leur entrée dans la cour du château.
Le temps était à l’orage. De gros nuages gris et noirs s’amoncelaient au-dessus de nos têtes. Ils risquaient de crever d’un moment à l’autre.
Nous entendîmes bientôt un bruit de sabots marteler les dalles de la cour intérieure, avant de voir un groupe de trois cavaliers se diriger vers nous au petit trot, en haubert renforcé de plattes, mézail relevé sur le bacinet, lance en arrêt sur l’arçon.
« Que me vaut l’heur de votre visite, messires ? s’enquit le baron de Beynac.
— Messire votre cousin, le seigneur de Castelnaud, vous présente ses hommages respectueux », répondit le chevalier, bien campé sur sa selle, sans faire mine de démonter, l’air aussi arrogant que son maître. Michel de Ferregaye avança de trois pas vers iceux et les admonesta :
« Veuillez baisser vos penoncels, messires, déchausser les étriers et mettre pied à terre, comme il sied, avant d’adresser la parole lorsque vous êtes en présence de messire Fulbert Pons de Beynac, premier baron du Pierregord. C’est l’usage et ne pouvez l’ignorer. »
Le chevalier se tourna vers ses deux écuyers et leur fit signe d’obtempérer. Trois palefreniers s’avancèrent, saisirent les chevaux par la bride et récupérèrent les lances en baissant leur pavillon.
« Messires, veuillez aussi vous découvrir le chef et vous incliner. Votre maître ne vous aurait-il point enseigné les us et les convenances ? À moins que vous ne veniez nous porter déclaration de guerre. Et quand bien même. Les règles de la bienséance n’ont point de camp, par le Sang-Dieu ! » s’insurgea le capitaine alors que les hommes d’armes s’avançaient, la main sur la poignée de leur épée.
À voir leur visage congestionné,
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