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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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supérieure,
le responsable de l'adm i nistration
pénitentiaire se reprit.
    — Allons
nous préparer, dit-il énergiquement. On nous attend à
terre.

9 Juin
1888
    Quand
le navire s'engagea dans l'embouchure du Maroni, il quitta dans le
même temps les profondeurs bleutées du grand océan.
Les eaux du fleuve annonçaient des territoires troubles, elles
ne cha n geaient
jamais de couleur. Elles étaient marron, boueuses. À
bord, les femmes s'étaient tues et le silence r é gnait,
oppressant, cependant que le navire avançait lentement,
laissant se dérouler le long des rives un spectacle, par
contraste avec ces eaux troubles, enchanteur. Des hibi s cus
à la co u leur
de feu et des palétuviers immobiles se détachaient sur
un fond de verts sombres et lumineux. Des villas apparaissaient ça
et là, des bungalows au rose délicat, nichés au
creux de la f o rêt.
    Les
prisonnières retenaient leur souffle. Elles regardaient les
ma i sons
avec fascination et leurs mains s'agrippaient plus fort au basti n gage
contre lequel elles se penchaient dangereusement, cherchant à
aperc e voir
quelque habitant. L'émotion avait mis les larmes aux yeux des
plus jeunes, les moins aguerries et les plus prêtes à
croire au par a dis
sur terre. Louise avait dit la vérité, ici, tout était
luxuriant, riche. La Guyane était une terre splendide. Pour
elles, qui en France étaient si démunies qu'elles
n'avaient jamais espéré posséder un jour quoi
que ce soit, pas même un gourbi sous les toits, habiter une de
ces maisons merveilleuses comme celles qui en France dans les beaux
quartiers sont paisiblement entourées de jardins calmes
derrière de hauts murs de pierre était un rêve.
    — Mon
Dieu ! s'exalta l'une. Quand je pense que j'étais horrifiée
le jour où oh m'a dit que je partais pour la Guyane.
Fallait-il être bête. Mais aussi, je n'étais
jamais sortie de mon trou !
    — Une
terrasse, là, regardez, il y a une terrasse ! Rosalie pointait
son doigt vers un joli bungalow
    dont
la terrasse avançait du côté du fleuve. Un
frisson de plaisir parcourut le petit groupe des prisonnières.
Elles se so u venaient
des sirops dont avait parlé Louise et qu'on prenait le soir
quand la fra î cheur
revenait, à l'ombre des palétuviers. Chacune y allait
de son mot Elles s'y voyaient.
    Curieusement,
la seule qui ne semblait pas prise par l'enchantement, c'était
Louise. Marie s'en aperçut et elle s'apprêtait à
lui demander ce qu'elle avait quand celle-ci mit un doigt sur ses
lèvres.
    — Écoute,
lui dit-elle à voix basse. Tu entends ? Marie tendit
l'oreille. Le navire avançait sur le fleuve et des cris aigus
perçaient au cœur de la forêt qui se refermait
au-dessus du navire tant elle était dense. Des remous soudains
claquaient, e n gloutissant
dans les eaux boueuses un animai rampant que l'on n'avait pas le
temps de reco n naître.
C'était un monde sans êtres visibles, ni hommes, ni
animaux. C'était beau, mais trop calme. Et de cette étrange beauté naissait une
fascination m ê lée
de peur.
    Soudain
le fleuve alla s'élargissant, les arbres immenses s'écartèrent
sur le ciel et de loin apparurent enfin les rives de Saint-Laurent du
Maroni. Les femmes écarquillaient les yeux. Au creux de la
verdure Saint-Laurent se découvrit, merveilleux, fleuri de
roses bougainvi l liers,
et les premières si l houettes
humaines se découpèrent enfin. On devinait des gens
comme en villégiature, promeneurs au bord de l'eau. Les
prisonnières n'osaient croire ce qu'elles voyaient, elles qui
n'avaient imaginé de cet endroit que les barreaux de fer de
leur prison. Marie, plus m é fiante,
remarqua avec stupeur qu'en guise de port et de quai il n'y avait en
tout et pour tout que quelques planches de bois mal jointes posées
sur pilotis. Elle s'était attendue à trouver
des quais comme ceux de Bordeaux, au bord de la Garonne en plein cœur
de ville, avec des rues, des maisons et d'autres navires en partance,
d é chargeant
des sacs. Mais Saint-Laurent-du-Maroni ne grouillait que de choses
invisibles. Hormis ces quelques pe r sonnes
regroupées et figées, il n'y avait ni bateaux, ni
constructions, ni port. En avançant Marie s'aperçut que
certaines silhouettes qui atte n daient,
alignées sur la terre poussiéreuse au bord de cet
embarcadère de bois, étaient vêtues de rose clair
et de blanc et coi f fées
de chapeaux de paille. La présence de ces
couleurs gr a cieuses
la surprit d'abord agréablement. Mais plus le

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