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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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femmes criminelles. Et celles-ci
n'étaient pas obligatoirement de la campagne, jeunes et en
bonne santé. Alors, s'il lisait bien entre les lignes de la
circulaire, on allait donc chercher des v o leuses
de poules. Celles qui n'ont pas de famille et vont sur les chemins
louer leurs bras d'une ferme à l'autre. Ou celles qui pour ne
pas crever de faim et de solitude se font engager comme domestiques
dans les grandes villes.
    Les
convois de femmes étaient rares et Romain avait hésité
à se rendre à l'embarquement. Il ne voulait pas avoir
l'air d'un voyeur, comme cette foule qui venait de loin et dont les
raisons d'assister au départ des bannies de la République
n'étaient pas toujours nobles... Mais au dernier moment, il y
avait couru. Ce départ serait le seul a u quel
il pourrait assister avant le sien. Il voulait, à sa façon,
accomp a gner
ces femmes en étant là. Il avait encore en m é moire
le mal-être qui l'avait gagné et il se sentait plus
investi encore dans son futur m é tier,
de taille à affronter la terrible « pénitentiaire
» dont le docteur Mayeux
disait qu'elle avait pour mi s sion
« non de sauver les hommes, mais de les exterminer». Et
pour les femmes, se demandait Romain, qu'a-t-elle prévu la «
pénitentiaire »? La mort ? Ou pire que la mort ? Il
n'eut pas le loisir de pousser plus loin sa réflexion, il
venait d'arriver devant la maison de sa l o geuse
et il tourna la clef dans la porte avec la hâte de celui qui
sait qu'il va manger un bon repas et retrouver la douce chaleur d'une
chambre.
    Il
dîna tout en bavardant avec son hôtesse de choses et
d'autres, puis monta se coucher. Ce n'est qu'au moment de fermer ses
volets, face à la nuit étoilée, qu'il repensa au
bouton de nacre. Il plongea la main dans la poche de son pantalon et
sourit. Le petit bouton était toujours la. R o main
le sortit et le regarda avec attention. La fleur était peinte
plus minutieusement qu'il ne l'avait cru au premier regard, on
disce r nait
même un minuscule feuillage vert sur le côté. Il
hésita, à quoi bon le garder ? Il faillit le lancer
dans la nuit, mais finalement il le remit dans sa poche et ferma les
volets, apaisé un instant par la f i nesse
de sa jolie trouvaille.

16
    — Louise
est morte.
    Marie
n'eut pas de réaction. Ou plutôt quelque chose en elle
se bl o qua
quand elle entendit ces mots, et cela fit qu'elle parut inerte. Parce
que accepter ce que venait de leur annoncer la sœur, accepter
que Louise puisse mourir comme ça, si vite, dès le
premier jour, c'était tout simpl e ment
impossible. Parmi toutes ces femmes, Louise était la plus
forte, la plus vivante. Celle qui po u vait
tout affronter. Qu'elle puisse mourir sous les premiers coups, ça
ne pouvait pas être vrai. Voilà pourquoi Marie ne
pouvait entendre ces mots, et voilà pourquoi quelque chose en
elle ne les entendit pas. Louise était son soutien, celle avec
laquelle elle allait faire face au destin. Avec Louise, Marie était
sûre de pouvoir tenir et vivre. Parce qu'elle était la
force, parce que plus qu'aucune autre elle avait la volonté de
tout su r monter,
contre tous s'il le fallait, et quoi qu'il se passe. Accepter qu'elle
meure, c'était accepter de mourir soi-même. Accepter que
la vie de Louise puisse être anéantie, c'était
plonger avec elle dans le néant. Voilà pourquoi Marie
n'entendit pas l'annonce de sœur Agnès, voilà
pourquoi elle n'entendit pas les cris des détenues autour
d'elle qui s e f fondrèrent
à la nouvelle. Voilà pourquoi elle resta de longs jours
et d'interminables heures prostrée, sans dire un mot, sans
même s'alime n ter.
    On
la crut perdue. C'est un médecin qui la sauva. Alerté
par les sœurs, il accourut à son chevet. Il rentrait
tout juste d'un camp de b a gnards
où il avait été envoyé en mission à
quelques kilomètres dans la jungle. Le terrible camp de
Charvein. Là-bas, il avait vu des hommes travailler
entièrement nus, il les avait découverts tirant de
lourdes charges de bois dans la boue sous la pluie tropicale, et la
minute d'après le visage brûlé par les feux du
soleil. Il les avait vus s'arracher la peau aux écorces mal
taillées, s'écraser les membres lors d'un tran s fert
de bois mal ajusté. Il avait découvert que leurs plaies
s'enfo n çaient dans
cette boue et dans les souillures de leurs excréments qu'ils
fa i saient
à même le sol, les blessures irréversibles de
l'anguillule qui p é nètre
dans la peau et passe par les poumons

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